«Petites leçons provisoires du 26 février » titrions-nous au lendemain du 1er tour, en promettant d’y donner suite. Nous prenons rendez-vous. Des deux hypothèses que nous envisagions (l’une souhaitable et positive) et l’autre (improbable et négative), la première a finalement été validée. Et Wade félicita Maky ! Par désir ou par contrainte, peu importe ! Il savait que sa page tournée par les grands décideurs de ce monde qui, hélas pour les vaincus d’aujourd’hui et heureusement pour les vainqueurs, dictent leurs desiderata à leurs obligés, chefs d’États de pays pauvres dont l’économie placée sous perfusion des laboratoires de Breton Woods n’autorise guère aucune revendication de dignité patriotique. Les promesses de Sarkosy d’avaliser un projet de dévolution monarchique en échange d’un discours anti Khadafi à Benghazi n’y feront rien. Nous l’écrivions ici le 28 octobre 2011 : Le geste posé à Benghazi par le Président Sénégalais jugé pitoyable et contraire à son engagement traditionnel pour le panafricanisme dont Kadhafi fut un des chantres, est symbolique de cette logique d’action politique qui fait jouer le sentiment de faiblesse et le désir de puissance. Son périple au quartier général des rebelles Libyens, savamment préparé par les services stratégiques de l’Élysée et du Quai d’Orsay ne lui garantit pourtant aucune impunité ni protection extérieure, si demain les peuples sénégalais voudraient s’en débarrasser. Ceux qui l’ont accompagné, protégé et applaudi à Benghazi seront les premiers à prendre prétexte des désirs de changements populaires pour lui dicter la voie à suivre « à la Ben Ali », « à la Gbagbo » ou « à la Kadhafi ». Le baromètre des sentiments est à géométrie variable et n’est pas insensible à la géographie. Wade, dont les affidés chantent tant le génie politique avait-il besoin de cette leçon ? Le lâchage de la France et des Etats-Unis dont ils dénoncent l’ingérence dans le processus électoral sénégalais est une hypothèse d’école. Ce lâchage et cette ingérence ont ceci de salutaires qu’ils précipitèrent une conférence de presse le 26 février et anticipèrent des félicitations le 25 mars 2012. Sa candidature contestée, les répressions violentes des manifestations, sa mégalomanie affichée à son âge, avaient fini de convaincre les gouvernements occidentaux qu’il fallait tourner définitivement la page Wade. C’est cette conviction qui fondait notre optimisme en quittant Montréal pour Dakar.
Mais, soyons juste ! La défaite de Wade et l’acceptation de celle-ci ne résultent pas seulement de pressions externes. Les raisons internes d’une défaite inéluctable sont nombreuses, il serait fastidieux de les passer toutes en revues. Retenons-en quelques unes :
Mais, soyons juste ! La défaite de Wade et l’acceptation de celle-ci ne résultent pas seulement de pressions externes. Les raisons internes d’une défaite inéluctable sont nombreuses, il serait fastidieux de les passer toutes en revues. Retenons-en quelques unes :
Un système électoral fiable
Les oiseaux de mauvais augure, supposés experts en informatique ont annoncé un plan de fraude électronique. Leurs explications tirées par les cheveux, pour savantes qu’elles laissaient supposer, n’ont eu pour effet que de démobiliser une partie de l’électorat. Notre conviction est qu’une fraude à l’échelle de ce qui se faisait sous le règne du parti socialiste, n’est plus possible, au moins depuis 1998. Le vote n’étant pas électronique, le décompte étant manuel, les partis politiques étant représentés dans les bureaux de vote de même que la CENA, les observateurs veillant au grain, il n’est simplement plus possible de voler des élections au Sénégal. Le système électoral a certes subi des modifications unilatérales (couplage, découplage, découpage administratif etc.), mais ses fondamentaux sont si solidement ancrés depuis l’adoption du code consensuel en 1992, que toute tentative de remise en cause substantielle se heurte à la résistance populaire. C’est ce qui explique le rejet du projet de ticket présidentiel et de majorité relative, le jour du 23 juin resté mémorable au point de faire naître de façon formelle une nouvelle organisation qui consacre le combat commun de la société civile et des partis d’opposition. Dans ces conditions là, le système électoral sénégalais n’offrait à Wade aucune chance de passer surtout que celui-ci avait déjà plombé à la source son projet de dévolution monarchique.
L’amour d’un fils contre le désamour de son parti et le mépris du peuple.
Pour saper les fondements de son parti et s’attirer la haine du peuple, Wade n’a pas cherché loin. Ce qui a fait vraiment mal, c’est que le Sénégal, en dépit de son histoire politique que d’aucuns ont nommé la « remarkable succes story» (Cruise O’Brien) en soit ramené, par la honte d’un projet de dévolution monarchique du pouvoir, à être comparé au Togo d’Éyadéma et au Gabon de Bongo. C’est vraiment ne pas prendre en estime les Sénégalais, de n’avoir aucune considération pour la qualité singulière de leur legs historique et politique que de penser un seul instant se faire remplacer par son fils à la tête de l’État. L’auteur de ce projet a mérité une opposition farouche à la hauteur de son affront au peuple démocratique. Il a combattu, humilié et brimé ses compagnons de parti (Idrissa Seck, Maky Sall, Aminata Tall, Pape Diop), pour le plaisir de son fils et à la grande satisfaction de la première dame. Il a insulté les fils de ce peuple pas assez intelligents pour gérer 5 ministères. Amour du fils contre désamour de son parti et mépris du peuple, la coupe était pleine. Qui disait qu’en politique comme en amour, toutes les fautes s’expient et ne réparent jamais ! Quant au principal bénéficiaire de ce projet, le fils de son père, il est de toutes les façons son propre adversaire, son équation est à tous les points de vue insoluble : comment se faire aimer des Sénégalais quand on ne leur ressemble pas culturellement a fortiori, ne parle aucune de leurs langues et qu’on est obligé de s’adresser à eux par le médium naturel de l’ancien colonisateur avec la même attitude hautaine et méprisante qui renvoie à celle du chef des indigènes? J’entends encore ce lamentable numéro de communication : «le pouvoir ne s’hérite pas, il se mérite». Mais le charisme d’antan du père ne s’hérite pas, sa proximité culturelle avec les votants, non plus; or, donc, dans la conquête des suffrages populaires, il est de ces mérites précieux que ne décerne aucune école de formation et que ne remplace aucune signature même passée sous les calques d’un texte constitutionnel.
La vaine quête du ndigël et l’exploitation éhontée de la fracture religieuse.
Des travaux réalisés par des chercheurs de l’UGB démontraient déjà en 1998 le déclin du ndigël, et cela même dans les foyers religieux (Tivaouane et Touba) : l’enseignement que l’on en tire est que le disciple peut être très attaché à son marabout et se montrer insensible à ses mots d’ordre politique. Ce qui invalide le postulat de l’ignorance comme modèle d’interprétation du rapport entre le marabout et son disciple. Cette relation est à la fois mystique et utilitaire, (voir mon ouvrage Les médias et l’État au Sénégal, l’impossible autonomie, L’Harmattan). J’y distinguais les marabouts centraux (ceux qui tirent leur légitimité de leur appartenance directe à la famille régnante à la tête de la confrérie) et les marabouts périphériques (ceux qui justifient de leur proximité avec les familles régnantes pour en tirer une certaine légitimité). Il est dès lors évident que selon que le ndigël provienne de l’une ou l’autre de ces sphères, il n’a pas le même impact psychologique, ni la même valeur symbolique, ni la même conséquence politique. Le génie politique décadent de Wade n’a pas su percevoir ces nuances. Pire, il a joué sur la division, affichant de façon ostentatoire ses préférences pour une confrérie. Si l’on y ajoute les bavures policières, leurs lots d’assassinats et de provocation jusque dans les mosquées, les ingrédients d’une défaite annoncée étaient réunis. Les gesticulations d’un cheikh dont le mysticisme relève plus d’une croyance à une existence que de l’existence elle-même, ne pouvaient rien y changer. Attention ! Le déclin du ndigël ne signifie pas la fin du pouvoir maraboutique. Les marabouts ne sont pas des acteurs politiques mais sont des acteurs de la vie politique. Ils font partie du jeu politique et leur implication est si lointaine et ancrée qu’elle est historiquement déterminée et sociologiquement légitimée. Comme les marabouts maîtrisent les temporalités politiques, ils savent, selon les circonstances, tirer leur épingle du jeu en faisant parfois preuve d’une subtilité qui n’a rien à envier aux grandes stratégies politiques. Les plus intelligents s’en tirent toujours, c’est ce qu’on peut lire dans l’attitude nettement prudente et non partisane des grands chefs des confréries lors de ces élections de février et mars 2012.
L’implication citoyenne de Youssou Ndour et du mouvement Y-en-a-marre
C’est preuve d’amateurisme politique que de s’imaginer des inimitiés et de construire des ennemis politiques, surtout lorsque les cibles se nomment Youssou Ndour, Barra Tall. Un pouvoir intelligent les ménage à défaut de les chouchouter. Mais l’immaturité politique de cette vaste supercherie intellectuelle qu’est la « Génération du concret » avait conduit le pouvoir de Wade à tenter de les ruiner. La cristallisation des antagonismes et leur radicalisation ont finalement eu un effet salvateur pour le peuple. Il est plus facile pour un jeune sans emploi et appauvri de s’identifier à Youssou Ndour qu’à Karim Wade. L’un a dompté les hostilités d’un environnement social défavorable pour se hisser au sommet de la société par l’exploitation rigoureuse de son seul talent naturel. Il fait rêver, il est admiré, il peut alors traduire son capital de sympathie en force de mobilisation politique. Il l’a démontré. Il faudra d’ailleurs, à l’heure du bilan de la victoire de Maky Sall, se pencher sur l’apport décisif de Youssou Ndour dont la seule présence sur la scène politique a suffi à faire des scrutins de février et mars 2012 les élections les plus surveillées de l’histoire du Sénégal. L’autre, par contre, ne doit son existence politique que par la grâce de son père de président. On ne lui connaît aucun talent naturel qui fasse rêver ceux que la nature a dépourvus de chance. Au contraire, même ce que l’on présente comme étant ses réussites (ANOCI, routes etc.) ne suscite que doute et haine. Ajoutez-y l’implication citoyenne fortement médiatisée d’une jeunesse consciente incarnée par le mouvement Y-en-a-marre, l’opposition devient fatale. A une jeunesse qui appelle à l’avènement d’un « nouveau type de sénégalais », le pouvoir opposait une jeunesse dont la prouesse est de substituer à l’arrogance de l’ancien régime, sa propre arrogance. Avec l’élégance en moins ! Et l’ignorance en plus ! « L’implication trop poussée de la société civile ne délégitime-t-elle pas son action ? » me demandait récemment un journaliste au Sénégal. « Non, lui répondis-je, c’est plutôt un hommage à la définition première de la société civile. Car, jusqu’au 17e siècle, la société civile signifiait toute société politiquement organisée. Et les notions de societas civilis et de res publica étaient synonymes. Les circonstances au Sénégal ont recréé les conditions d’une implication politique comparable à la situation pré-révolutionnaire à la France de 1789. C’est tout à l’honneur d’Alioune Tine et compagnie d’avoir dicté le cours de l’histoire plutôt que de la subir. »
Reste la vigilance des ces sentinelles de la démocratie qui sont dans les médias privés : je pense pêle-mêle à Adama Diouf (Xalima), Jules Diop (Seneweb), Madiambal et Soro Diop (Le Quotidien), PSK (Pop), MON (Le Témoin) etc. Latif Coulibaly vous manquera en ayant choisi de donner une nouvelle orientation à sa carrière, en devenant un homme politique. La verve de vos plumes et la sévérité de vos diatribes devront suivre le cours que le nouveau régime donnera à ses actions. Sachez que vous ne rempliriez vraiment votre rôle en démocratie que si l’on vous accuse d’être une « presse d’opposition ». C’est ce que je rappelais récemment à un journaliste Sénégalais, qui, choqué, ne s’empêcha pas de m’objecter le devoir éthique et déontologique d’objectivé. Je ne résistais pas à l’envie de lui rappeler la leçon académique que j’assène comme une sorte de rengaine, depuis 14 ans aux étudiants en journalisme : savez-vous comment est apparue dans l’histoire la notion de quatrième pouvoir attribuée aux médias ? Il n’était prévu ni par Montesquieu, ni par Locke dans leurs théories de l’équilibre et de la séparation des pouvoirs. Ce sont les rapports de forces naturellement conflictuels entre la presse et le pouvoir politique qui consacre l’avènement de cette notion. Tout est parti du coup d’État de Louis Napoléon qui instaura un régime autoritaire en France en 1851. Le régime britannique avait reconnu le pouvoir issu de ce coup d’État. La presse anglaise rua dans les brancards en dénonçant la contradiction manifeste d’un pouvoir qui promet la démocratie et qui avalise un régime autoritaire. Le Premier ministre britannique de l’époque répondit aux journalistes en ces termes : si vous aspiriez aux mêmes responsabilités que les hommes politiques, il faut en assumer les conséquences. Autrement dit, pour légitimer leur implication en politique, les journalistes devaient aller chercher la légitimité des urnes. Le rédacteur en chef du Time répliqua en ces termes : nos deux pouvoirs sont constamment séparés, parfois diamétralement opposés. Il y a dans cette réponse du journaliste résultant d’une confrontation épique dans les faits, la revendication de la notion de pouvoir et l’assumation de sa mission d’opposition. Ainsi, s’écrit l’histoire !
Le Sénégal aura besoin de vous surtout lorsque feront défaut les mécanismes institutionnels traditionnels de contestation. Ce sont dans ces moments d’euphorie qui suivent la victoire que règne le plus grand consensus, salutaire certes pour la pacification des rapports politiques mais mortel pour le débat démocratique. Que vive la contradiction pour que reste sauve la démocratie ! Que dis-je, « l’exception sénégalaise » !
Pr Ndiaga Loum, Département des sciences sociales,
Université du Québec en Outaouais (UQO)
Reste la vigilance des ces sentinelles de la démocratie qui sont dans les médias privés : je pense pêle-mêle à Adama Diouf (Xalima), Jules Diop (Seneweb), Madiambal et Soro Diop (Le Quotidien), PSK (Pop), MON (Le Témoin) etc. Latif Coulibaly vous manquera en ayant choisi de donner une nouvelle orientation à sa carrière, en devenant un homme politique. La verve de vos plumes et la sévérité de vos diatribes devront suivre le cours que le nouveau régime donnera à ses actions. Sachez que vous ne rempliriez vraiment votre rôle en démocratie que si l’on vous accuse d’être une « presse d’opposition ». C’est ce que je rappelais récemment à un journaliste Sénégalais, qui, choqué, ne s’empêcha pas de m’objecter le devoir éthique et déontologique d’objectivé. Je ne résistais pas à l’envie de lui rappeler la leçon académique que j’assène comme une sorte de rengaine, depuis 14 ans aux étudiants en journalisme : savez-vous comment est apparue dans l’histoire la notion de quatrième pouvoir attribuée aux médias ? Il n’était prévu ni par Montesquieu, ni par Locke dans leurs théories de l’équilibre et de la séparation des pouvoirs. Ce sont les rapports de forces naturellement conflictuels entre la presse et le pouvoir politique qui consacre l’avènement de cette notion. Tout est parti du coup d’État de Louis Napoléon qui instaura un régime autoritaire en France en 1851. Le régime britannique avait reconnu le pouvoir issu de ce coup d’État. La presse anglaise rua dans les brancards en dénonçant la contradiction manifeste d’un pouvoir qui promet la démocratie et qui avalise un régime autoritaire. Le Premier ministre britannique de l’époque répondit aux journalistes en ces termes : si vous aspiriez aux mêmes responsabilités que les hommes politiques, il faut en assumer les conséquences. Autrement dit, pour légitimer leur implication en politique, les journalistes devaient aller chercher la légitimité des urnes. Le rédacteur en chef du Time répliqua en ces termes : nos deux pouvoirs sont constamment séparés, parfois diamétralement opposés. Il y a dans cette réponse du journaliste résultant d’une confrontation épique dans les faits, la revendication de la notion de pouvoir et l’assumation de sa mission d’opposition. Ainsi, s’écrit l’histoire !
Le Sénégal aura besoin de vous surtout lorsque feront défaut les mécanismes institutionnels traditionnels de contestation. Ce sont dans ces moments d’euphorie qui suivent la victoire que règne le plus grand consensus, salutaire certes pour la pacification des rapports politiques mais mortel pour le débat démocratique. Que vive la contradiction pour que reste sauve la démocratie ! Que dis-je, « l’exception sénégalaise » !
Pr Ndiaga Loum, Département des sciences sociales,
Université du Québec en Outaouais (UQO)
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