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Mobiliser la diaspora pour le développement. Par Abdou Aly Kane



Mobiliser la diaspora pour le développement. Par Abdou Aly Kane
La Banque mondiale a publié son « 2021 Migration and Development report », document dans lequel elle classe les pays subsahariens en fonction du volume des transferts de fonds reçus, en provenance d’autres continents. Ce classement à la tête duquel on trouve le Nigeria et le Ghana, comprend également trois autres pays de la zone francophone au premier rang desquels le Sénégal qui totalise 2,6 milliards de dollars US, et dont les transferts reçus participent pour environ 10,5 % de son PIB (les autres pays francophones suivants le Sénégal sont, dans l’ordre, la République démocratique du Congo et le Mali, avec respectivement 1,9 milliard et 1 milliard de dollars de fonds reçus).

L’encours annuel de ces transferts est plus important que celui des investissements directs étrangers (Ide) et de l’aide au développement. En ordre de grandeur, ils contribuent plus que le secteur agricole dans la formation du PIB — une contribution qui s’établit à environ 9,4 % en 2019 —, ce qui donne une idée de leur poids dans l’économie de notre pays.

Selon la Banque Mondiale, ces transferts proviennent essentiellement d’Europe, pour 65 % des flux, suivie par l’Afrique, à hauteur de 30 %, et de l’Amérique pour environ 4,68 % (les envois de fonds des émigrés empruntant des voies non officielles ne sont pas comptabilisés ici ; ils pourraient, selon les experts, représenter près de 50 % du montant des envois formels dans certains pays).

Au Sénégal, selon l’étude menée par la Direction de la Monnaie et du Crédit (DMC) du ministère de l’Economie, des Finances et du Plan (MEFP) sur les envois de fonds des travailleurs migrants sénégalais, 81 % des transferts de fonds des migrants transitent par les circuits formels, contre 19 % via les circuits informels. En termes d’impact économique et social, il est établi que les fonds transférés par les migrants portent à la hausse non seulement le revenu des ménages et la croissance, mais également participent à l’équilibre de la balance des paiements en améliorant les réserves de change du pays d’origine de ces migrants.

En revanche, compte tenu de la configuration structurelle de notre économie peu industrialisée, les envois de fonds sont destinés pour l’essentiel à l’alimentation des populations et à la couverture des besoins sociaux de base, et peu à l’épargne et à l’investissement. Cette répartition des flux monétaires contribuerait au déséquilibre de notre commerce extérieur, notre pays étant structurellement importateur de produits alimentaires.

La hausse de consommation imputable aux transferts de fonds aurait en effet pu avoir des effets positifs sur une croissance endogène, si les dépenses étaient orientées vers les produits du cru. Pour les migrants bénéficiant de hauts revenus, les transferts destinés à l’investissement sont transférés vers les banques pour alimenter des comptes de dépôts ou à terme, mais aussi à l’érection d’infrastructures sociales de base dans les collectivités locales (cases ou centres de santé, marchés, projets de jardinage etc.).

Ces fonds transférés dans les banques sont immobilisés dans des comptes de dépôts, d’épargne, de bons de caisse ou comptes à terme ; Il n’est d’ailleurs pas rare de constater que des retraits frauduleux se fassent sur ces comptes de Sénégalais résidant à l’étranger, parce qu’enregistrant peu de mouvements et appelés « comptes dormants ».

Les avoirs des migrants non destinés aux familles sont logés dans les banques sous forme de comptes d’épargne, comptes à terme ou bons de caisse. Il s’agit d’une épargne de précaution prévue pour les lendemains d’un retour. Il nous semble que ce retour est à un horizon plus court pour les jeunes générations ayant davantage l’esprit d’entreprise, et qui seraient preneurs d’un encadrement pour exécuter leurs projets de start-up.

Contrairement à d’autres flux extérieurs, notamment l’APD (Aide publique au développement) et les IDE, les envois de la diaspora résidant à l’étranger sont généralement stables et moins volatiles, ce qui en fait une source fiable pour le financement des économies d’origine. Toutefois, les résultats demeurent non concluants, notamment l’impact de ces transferts sur la croissance économique et sur l’investissement dans ces pays.

Il serait important d’étudier les moyens de faire du solde net de ces transferts, après la couverture des besoins essentiels, un levier pour opérer des investissements sectoriels en rapport avec la BAD qui porte une attention particulière à ces flux financiers. Pour l’instant, l’appel aux migrants pour l’investissement est timoré en ce qu’il ne porte que sur des secteurs peu productifs et à faible valeur ajoutée comme l’immobilier.

En matière d’opportunités à saisir, le marché financier pourrait être une bonne porte d’entrée pour ceux-là qui, conseillés par des SGI (sociétés de gestion et d’intermédiation) et autres banques d’affaires spécialisées dans le conseil financier, créées en UEMOA dans l’environnement de la BRVM (Bourse régionale des valeurs mobilières). L’intervention de la diaspora sur les marchés financiers pourrait porter sur la souscription d’emprunts obligataires dont la liquidité pourrait être assurée par les SGI et les banques d’affaires du pays.

Rôle de l’Etat dans la mobilisation financière de la Diaspora
Les transferts des migrants essentiellement destinés à couvrir les besoins en consommation, en éducation et en santé des populations bénéficiaires permettent de combler le déficit dans la mise en place des filets sociaux de l’Etat dans le cadre de la lutte contre la pauvreté. C’est donc l’Etat qui devrait se charger du manque à gagner en retournant aux migrants le différentiel sous forme d’appui à l’investissement.

Son rôle serait d’encourager et de faciliter le retour des gens de la diaspora pour investir leur savoir-faire acquis dans leurs pays d’accueil par la structuration de stratégies et d’outils facilitateurs de leur insertion. L’organisation périodique de grands évènements avec les représentants de la diaspora pourrait être un des éléments déclencheurs de cette confiance nécessaire entre gouvernants et émigrés.

Les incantations théoriques des plans d’émergence, encore moins la création de ministères chargés de l’Emigration, ne sauraient suffire à établir la relation de confiance voire de partenariat entre ces deux entités. En définitive, toutes les diasporas du monde cherchent ce qu’elles peuvent donner pour le développement de leurs pays, mais également ce qu’elles peuvent obtenir en retour. Pour ce qui concerne les jeunes émigrés à capacité d’épargne, des signaux clairs doivent être envoyés et des actes posés l’Etat pour établir la confiance avec eux.

Nos gouvernements devraient prendre davantage d’initiatives pour la participation de notre diaspora au développement du pays. Hormis l’Apix avec son Guichet unique « Diaspora » et la BHS, qui évolue dans l’immobilier, nous ne voyons pas d’autres interlocuteurs spécifiquement créés pour cette Diaspora. Pour inverser la tendance, dans le pays d’accueil déjà, les autorités consulaires devraient informer les membres de leur diaspora et mettre en place un marketing susceptible de les attirer comme on le ferait pour les investisseurs étrangers.

Hélas, ces autorités consulaires manquent souvent de ressources humaines et financières à la hauteur du défi. Un « benchmarking » dans ce sens ne saurait être superflu. L’Éthiopie et le Rwanda mènent des actions de sensibilisation et d’information en direction de leurs citoyens à l’étranger pour les inciter à investir dans des projets spécifiques. Par ailleurs, ils soutiennent les réseaux de leur diaspora dans le monde.

En Ethiopie, des sites Internet informant les membres de la diaspora des possibilités d’investissement et de commerce, des projets de développement, ont été créées. Dans son livre « OSER », notre compatriote Pierre Goudiaby Atépa a retenu 12 propositions pour faire émerger le Sénégal, dont « Oser ensemble avec la Diaspora ».

Convaincu que le développement du Sénégal ne saurait se faire sans sa diaspora, il rappelle l’importance qu’accorde l’Union Africaine à cette composante de sa population à laquelle elle a accordé le statut de 6ème région africaine, sur proposition du président Abdoulaye WADE, et avance l’idée de la constitution d’une base de données inclusive afin de savoir « qui fait quoi et où ?» en prélude à toute action ou programme.

Les Sénégalais de l’extérieur sont de tous âges. Ils sont médecins, ingénieurs, opérateurs économiques, artistes, intellectuels, écrivains, éditeurs, philosophes, journalistes, pilotes, enseignants, fonctionnaires internationaux, sportifs etc. pouvant apporter leur savoir-faire et leur connaissance au développement de leur pays. Le problème est qu’ils ne sont pas mobilisés par les gouvernants et ne sont pas eux-mêmes constitués en réseaux.

Nous partageons cette idée de connaître les Sénégalais de la diaspora dans ce qu’ils font et leur potentiel d’apport dans le développement du pays. Il revient par conséquent à l’Etat de prendre les initiatives hardies qui s’imposent pour cela.

Par Abdou Aly Kane, Economiste


Samedi 14 Août 2021 - 10:10


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