Monsieur le Président, vous avez invité les Sénégalais à se retrouver autour de leur enseignement supérieur pour faire de telle sorte qu’il soit un moteur de développement socio-économique et socle d’une société de savoir. Ils ont répondu à votre invitation et accompagné le vaillant comité de pilotage que vous avez mis en place.
Comme il y a vingt ans, en 1993, ils sont encore sortis des concertations avec euphorie. A l’époque tout semblait être réglé : l’infrastructure, la gestion des effectifs, l’ouverture au secteur privé, le financement, la carte universitaire, etc. On constate aujourd’hui avec regret qu’il restait beaucoup de choses à faire.
Monsieur le Président, la mission que vous aviez confiée au comité de pilotage était double : arrêter la roue de la crise dans l’enseignement supérieur et envisager le futur pour que ce sous-secteur porte notre développement socio-économique. Deux missions qui pouvaient et devraient être séparées pour être prises en charge plus efficacement. Il n’empêche que l’équipe de l’éminentissime Professeur Souleymane Bachir DIAGNE, constituée de patriotes on ne peut plus dévoués au service de la Nation, s’est attelée à la tâche. Elle a travaillé dans des délais et autres contraintes difficiles. Car, bien faire le diagnostic du sous-secteur et lui trouver des remèdes en moins de six mois est une gageure. Au final, elle a pu vous livrer soixante-dix huit recommandations. Plus que toute autre, celle qui fixe les ressources que l’Etat doit allouer au sous-secteur a bien retenu notre attention. Elle est libellée comme suit :
Recommandation 18 : « Augmenter la part des ressources publiques consacrées à l’enseignement supérieur (affectation de 1% supplémentaire de PIB au système éducatif). Il est précisé que cette augmentation est progressive sur la période 2012 à 2017. Le scénario retenu propose une augmentation de l’ensemble des dépenses consacrées à l’éducation de 6% à 7% du PIB entre 2012 et 2017 »
Excellence, nous voudrions vous rappeler ici que les concertations de 1993 avaient eu lieu avec les mêmes partenaires financiers et le même cadrage macroéconomique. Un de vos prédécesseurs, en l'occurrence Monsieur Abdou Diouf, avait alors suivi les orientations de la Banque mondiale qui préconisait le contrôle du flux d’étudiants, la limitation de la masse salariale en gelant les postes d’enseignants, la non-ouverture de nouvelles universités physiques et le recours aux institutions virtuelles ! Cette orientation catastrophique a, depuis cette date, plombé le développement de notre enseignement supérieur.
Monsieur le Président, c'est un leurre de faire croire qu’une part de la richesse nationale plafonnée à 7% peut sortir notre pays, qui est à 6,43%, du cycle de la crise. Comme il est cynique d’avancer, pour préconiser le remplacement du réel par le virtuel, qu’il est impossible de corréler la croissance infrastructurelle physique avec celle de la demande d’accès au supérieur.
Monsieur le Président, il faut plus de ressources que ne le préconise la CN(A)ES. En effet, sans assez de moyens pour résorber le gap infrastructurel, rééquilibrer les budgets de fonctionnement et répondre physiquement à la demande d’accès, la situation actuelle, au meilleur des cas, persistera. Aucun des résultats escomptés ne sera atteint. Pire, l’augmentation très rapide des bacheliers (14,04% par an), l’allongement des durées d’études (LMD oblige) et la faible efficacité pédagogique interne, exposeront notre pays à des soubresauts sociaux incontrôlables.
Monsieur le Président, notre pays n’est pas le seul à traverser ces difficultés. Pour faire face à une situation similaire, le Président Kenyan sortant Mwai Kibaki a décidé d’ouvrir quinze (15) universités, celui de la Zambie sept (7) d’un coup. Le Brésil, pays qui nous inspire tant, vient d’adhérer à la requête des partenaires sociaux pour investir 10% de son PIB dans le secteur éducatif. Dans l’OCDE, la norme est de 5% du PIB pour l’enseignement supérieur et la recherche là où le Sénégal est à 1,44%. Il est vrai que dans ces pays le secteur privé participe bien au financement du système éducatif. Mais celui-ci n’est pas plus patriote que le nôtre qui, nous sommes sûrs, est prêt à appuyer l’Etat pour la mise en place d’un système d’innovation profitable à tous. Tout près de nous, au Maroc, 0,25% du chiffre d'affaires des opérateurs de réseaux publics de télécommunications est accordé à la recherche. N'est-ce pas cela aussi le patriotisme économique ?!
Tout cela pour dire, Monsieur le Président, qu’on n’est pas obligé d’inventer des solutions. Afin de sortir de la crise et remonter le système éducatif à la surface, on ne peut pas faire l’économie de réserver au moins 10% du PIB pour le secteur éducatif en faisant bien contribuer le secteur privé, de mettre en place un plan d’urgence de construction d’infrastructures scientifiques et scolaires.
Monsieur le Président, dans les pays comme le Sénégal, seule la volonté politique peut soulever des montagnes. L’équipe de Professeur Souleymane Bachir DIAGNE ne pouvait pas aller au-delà des consignes de la banque mondiale. Très disciplinée et trop réaliste, pour ne pas dire naïve, elle est restée dans le cadrage strict (avec un modèle "économétrique" mal paramétré) du bailleur de fonds de notre partenaire financier. Elle était obligée de respecter « l’orthodoxie » et « l’équilibre » budgétaires. C’est pour cela d’ailleurs qu’elle n’a pu traiter des questions d’avenir ou celles nécessaires pour bâtir une société du savoir. L’augmentationde la proportion des diplômés du supérieur et des chercheurs dans la population, dans un délai raisonnable, n’était pas de ses chalenges. De ce fait, la CN(A)ES était devenue une CNES ! Ce qui a ravi nos amis du patronat !
Enfin, nous savons bien Monsieur le Président, que tous les secteurs sont prioritaires et que les ressources ne suffisent pas pour régler tous les problèmes en même temps. Mais les Anglo-saxons disent <<Knowledge is power>>, qu’on pourrait tenter de traduire par <<la reconnaissance passe par la connaissance>>. Cette vérité centrale pose la lancinante question de l’importance que les autorités politiques devraient accorder à l’éducation afin qu’elle brille de ses mille éclats faisant de notre pays un phare dans ce domaine. Faire de l’Ecole de la maternelle à l’Université -une sur priorité devient une exigence de développement, un "impératif catégorique".
Nous vous saurions gré, Monsieur le Président, de bien vouloir donner à l’Ecole les moyens de son envol.
Veuillez agréer, Excellence Monsieur le Président, l’expression de notre distinguée considération.
Professeur Libasse DIOP
Ancien ministre de l’enseignement supérieur
Rapporteur de la Concertation de 1993
Mamadou Youry SALL
Enseignant-chercheur à l’UGB
Comme il y a vingt ans, en 1993, ils sont encore sortis des concertations avec euphorie. A l’époque tout semblait être réglé : l’infrastructure, la gestion des effectifs, l’ouverture au secteur privé, le financement, la carte universitaire, etc. On constate aujourd’hui avec regret qu’il restait beaucoup de choses à faire.
Monsieur le Président, la mission que vous aviez confiée au comité de pilotage était double : arrêter la roue de la crise dans l’enseignement supérieur et envisager le futur pour que ce sous-secteur porte notre développement socio-économique. Deux missions qui pouvaient et devraient être séparées pour être prises en charge plus efficacement. Il n’empêche que l’équipe de l’éminentissime Professeur Souleymane Bachir DIAGNE, constituée de patriotes on ne peut plus dévoués au service de la Nation, s’est attelée à la tâche. Elle a travaillé dans des délais et autres contraintes difficiles. Car, bien faire le diagnostic du sous-secteur et lui trouver des remèdes en moins de six mois est une gageure. Au final, elle a pu vous livrer soixante-dix huit recommandations. Plus que toute autre, celle qui fixe les ressources que l’Etat doit allouer au sous-secteur a bien retenu notre attention. Elle est libellée comme suit :
Recommandation 18 : « Augmenter la part des ressources publiques consacrées à l’enseignement supérieur (affectation de 1% supplémentaire de PIB au système éducatif). Il est précisé que cette augmentation est progressive sur la période 2012 à 2017. Le scénario retenu propose une augmentation de l’ensemble des dépenses consacrées à l’éducation de 6% à 7% du PIB entre 2012 et 2017 »
Excellence, nous voudrions vous rappeler ici que les concertations de 1993 avaient eu lieu avec les mêmes partenaires financiers et le même cadrage macroéconomique. Un de vos prédécesseurs, en l'occurrence Monsieur Abdou Diouf, avait alors suivi les orientations de la Banque mondiale qui préconisait le contrôle du flux d’étudiants, la limitation de la masse salariale en gelant les postes d’enseignants, la non-ouverture de nouvelles universités physiques et le recours aux institutions virtuelles ! Cette orientation catastrophique a, depuis cette date, plombé le développement de notre enseignement supérieur.
Monsieur le Président, c'est un leurre de faire croire qu’une part de la richesse nationale plafonnée à 7% peut sortir notre pays, qui est à 6,43%, du cycle de la crise. Comme il est cynique d’avancer, pour préconiser le remplacement du réel par le virtuel, qu’il est impossible de corréler la croissance infrastructurelle physique avec celle de la demande d’accès au supérieur.
Monsieur le Président, il faut plus de ressources que ne le préconise la CN(A)ES. En effet, sans assez de moyens pour résorber le gap infrastructurel, rééquilibrer les budgets de fonctionnement et répondre physiquement à la demande d’accès, la situation actuelle, au meilleur des cas, persistera. Aucun des résultats escomptés ne sera atteint. Pire, l’augmentation très rapide des bacheliers (14,04% par an), l’allongement des durées d’études (LMD oblige) et la faible efficacité pédagogique interne, exposeront notre pays à des soubresauts sociaux incontrôlables.
Monsieur le Président, notre pays n’est pas le seul à traverser ces difficultés. Pour faire face à une situation similaire, le Président Kenyan sortant Mwai Kibaki a décidé d’ouvrir quinze (15) universités, celui de la Zambie sept (7) d’un coup. Le Brésil, pays qui nous inspire tant, vient d’adhérer à la requête des partenaires sociaux pour investir 10% de son PIB dans le secteur éducatif. Dans l’OCDE, la norme est de 5% du PIB pour l’enseignement supérieur et la recherche là où le Sénégal est à 1,44%. Il est vrai que dans ces pays le secteur privé participe bien au financement du système éducatif. Mais celui-ci n’est pas plus patriote que le nôtre qui, nous sommes sûrs, est prêt à appuyer l’Etat pour la mise en place d’un système d’innovation profitable à tous. Tout près de nous, au Maroc, 0,25% du chiffre d'affaires des opérateurs de réseaux publics de télécommunications est accordé à la recherche. N'est-ce pas cela aussi le patriotisme économique ?!
Tout cela pour dire, Monsieur le Président, qu’on n’est pas obligé d’inventer des solutions. Afin de sortir de la crise et remonter le système éducatif à la surface, on ne peut pas faire l’économie de réserver au moins 10% du PIB pour le secteur éducatif en faisant bien contribuer le secteur privé, de mettre en place un plan d’urgence de construction d’infrastructures scientifiques et scolaires.
Monsieur le Président, dans les pays comme le Sénégal, seule la volonté politique peut soulever des montagnes. L’équipe de Professeur Souleymane Bachir DIAGNE ne pouvait pas aller au-delà des consignes de la banque mondiale. Très disciplinée et trop réaliste, pour ne pas dire naïve, elle est restée dans le cadrage strict (avec un modèle "économétrique" mal paramétré) du bailleur de fonds de notre partenaire financier. Elle était obligée de respecter « l’orthodoxie » et « l’équilibre » budgétaires. C’est pour cela d’ailleurs qu’elle n’a pu traiter des questions d’avenir ou celles nécessaires pour bâtir une société du savoir. L’augmentationde la proportion des diplômés du supérieur et des chercheurs dans la population, dans un délai raisonnable, n’était pas de ses chalenges. De ce fait, la CN(A)ES était devenue une CNES ! Ce qui a ravi nos amis du patronat !
Enfin, nous savons bien Monsieur le Président, que tous les secteurs sont prioritaires et que les ressources ne suffisent pas pour régler tous les problèmes en même temps. Mais les Anglo-saxons disent <<Knowledge is power>>, qu’on pourrait tenter de traduire par <<la reconnaissance passe par la connaissance>>. Cette vérité centrale pose la lancinante question de l’importance que les autorités politiques devraient accorder à l’éducation afin qu’elle brille de ses mille éclats faisant de notre pays un phare dans ce domaine. Faire de l’Ecole de la maternelle à l’Université -une sur priorité devient une exigence de développement, un "impératif catégorique".
Nous vous saurions gré, Monsieur le Président, de bien vouloir donner à l’Ecole les moyens de son envol.
Veuillez agréer, Excellence Monsieur le Président, l’expression de notre distinguée considération.
Professeur Libasse DIOP
Ancien ministre de l’enseignement supérieur
Rapporteur de la Concertation de 1993
Mamadou Youry SALL
Enseignant-chercheur à l’UGB
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