Cette équipe cristallise un système patriarcal bien ancré. Aucun changement systémique, pour reprendre les mots du président, ne peut s’opérer de manière durable sans une gouvernance inclusive et équitable.
Ça y est ! La liste tant attendue des membres du gouvernement du président Bassirou Diomaye Diakhar Faye et de son Premier ministre Ousmane Sonko est tombée ce vendredi 5 avril 2024 : 25 ministres et 5 Secrétaires d’État. Si l’on y rajoute le Premier ministre Ousmane Sonko, le ministre Directeur de Cabinet du président de la République Mary Teuw Niane et le Secrétaire général du gouvernement Mohamed Al Aminou Lô, le décompte s’élève à 33 personnes. Nombre de ministres femme : 04, à savoir un dixième (si l’on rajoute dans le décompte le président de la République) des personnes représentées.
Selon le dernier rapport de l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD), la population résidente au Sénégal, recensée en 2023, est de 18 032 473 habitants, dont 8 900 614 femmes (49,4%) et 9 131 859 hommes (50,6%). Les femmes représentent donc près de la moitié de la population sénégalaise, mais ne sont représentées qu’à hauteur d’un dixième dans le gouvernement qui a pour but de les servir et de répondre à leurs attentes.
Certains s’offusquent qu’on puisse s’en offusquer. Après tout, où est le problème ? L’essentiel n’est-il pas d’avoir un gouvernement avec des personnes compétentes et vertueuses ? Pourquoi s’attarder sur des futilités ? À l’heure de la cohésion sociale, à quoi ça sert de critiquer la faible représentation des femmes ? L’idée n’est pas de mettre des femmes pour mettre des femmes et remplir des quotas ou de s’attarder sur des questions de parité et de féminisme - Ces questions de toute façon ne sont pas de chez nous ni de notre culture. D’autres encore diront, d’accord, il y a une sous-représentation des femmes, mais le gouvernement a été mis en place pour répondre aux attentes des Sénégalais et pour se focaliser sur des priorités bien établies. Là, encore, en quoi la représentation de près de la moitié de la population est prioritaire ?
Mon cœur a mal, honnêtement, d’avoir à tout simplement écrire et expliquer en quoi cette faible représentation est problématique. L’enjeu n’est pas “de donner des postes aux femmes” mais de comprendre qu’aucun changement systémique, pour reprendre les mots de notre cher président, ne peut s’opérer de manière durable sans une gouvernance inclusive et équitable. Alors, j’anticipe sur la question : “en quoi un gouvernement sans les femmes n’est pas inclusif et équitable” ? En quelques points :
Les questions de genre ne sont pas l’apanage des femmes, mais un sujet transversal qui touche à tous les secteurs d’activité : les défis économiques, sécuritaires, numériques, migratoires, sanitaires, éducatifs, agricoles, pour ne citer que ces quelques exemples sont intersectionnels. Intersectionnel veut dire qu’ils touchent aussi bien les hommes que les femmes, mais de diverses manières. Les exemples sont pléthores, mais j’en citerai deux. Le premier : les défis auxquels sont confrontés les jeunes filles en termes de scolarisation et d’accès aux études supérieures sont différents de ceux des jeunes garçons.
Bien que la scolarisation des enfants dans leur ensemble doive être promu, il est essentiel d’avoir un regard genre qui permette d’identifier les barrières spécifiques auxquelles sont confrontées les jeunes filles (être refusé le droit à la scolarisation au profit du garçon dans la maison, les lourdeurs des tâches ménagères, les mariages/grossesses précoces, les questions de sécurité qui s’appliquent différemment, les règles douloureuses, etc.) afin d’établir des programmes adaptés à leurs besoins.
Le deuxième concerne les femmes agricultrices qui rencontrent, elles aussi, des challenges différents que ceux rencontrés par les hommes agriculteurs (l’accès à la terre et au financement est très différent pour les hommes et les femmes, surtout en milieu rural sans compter les différences dans la gestion des revenus). Il ne s’agit pas de se focaliser uniquement sur les défis des femmes, mais de comprendre que n’importe quelle politique publique, et ce, dans n’importe quel secteur, a des implications genre. Sans la prise en compte de cette question, les programmes établis ne seront pas adaptés aux besoins spécifiques des personnes à qui elles sont destinées, qu’elles soient hommes ou femmes.
Les femmes ne sont pas un groupe monolithique : la suppression du ministère de la Femme et sa transformation en ministère de la Famille et des solidarités est problématique. Elle pose une question centrale : la confusion entre les questions de genre et d’équité sociale et les questions familiales. Les deux sont liées et s’entrecoupent, mais elles sont différentes et se doivent d’être différenciées. Le rôle de la femme ne se limite pas à la cellule familiale et même au sein de cette celle familiale, les prérogatives données par le droit sénégalais aux hommes et aux femmes doivent être revisitées. Par exemple, la question de l’autorisation de sortie de territoire que les mères doivent faire signer par le père de leur enfant avant de pouvoir voyager avec ce dernier (qu’il soit leur conjoint légal ou pas) montre l’importance de penser les questions d’équité et de justice sociale en profondeur.
La représentation des femmes est un enjeu de bonne gouvernance, de paix, de cohésion sociale, de justice et de “rupture” : la norme, c’est la non-représentation des femmes dans les instances de décision. La norme, c’est d’œuvrer au développement de leur pays dans les plus hautes sphères de responsabilité, sans elles autour de la table pour partager leur perspective. La norme, c’est d’attribuer leur succès à leur collaborateur homme ou encore leur respectabilité à leur rôle de mère ou d’épouse. La norme, c’est leur objectivation sur la scène médiatique et publique. La norme, c’est leur demander de se taire, de parler doucement, de bien se tenir, d’être polie, de sourire, de ne surtout pas être en colère, de baisser la tête. La norme, c’est de les violenter verbalement, physiquement, financièrement, moralement, spirituellement, intellectuellement. La norme, c’est le harcèlement sexuel, le non-respect de leur intelligence et le doute sur leurs compétences. La norme, c’est leur demander de fournir 10 fois plus d’efforts pour dix fois moins d’avantage et de reconnaissance. La norme, c’est de leur offrir des fleurs le 8 mars ou de leur organiser des caravanes, mais pas de créer des espaces et des opportunités pour qu’elles-mêmes soient au pouvoir et décident de leur destin. La norme, c’est de tout mettre sur leurs épaules, de les acclamer pour leur courage, de les couvrir de louanges pour leurs sacrifices et leur dévotion à la souffrance jusqu’à ce qu’elles en meurent à petit feu. La norme, c’est de les critiquer lorsque leurs enfants échouent : après tout, “sa liguéyou ndey la — c’est le travail de ta mère”.
La norme, c’est s’offusquer que les femmes osent s’offusquer de ne voir que quatre femmes représentées dans ce nouveau gouvernement. La rupture, ça aurait été un gouvernement représentatif et inclusif des femmes, chose que ce premier gouvernement du président Bassirou Diomaye Diakhar Faye n’a pas fait. Au contraire, il cristallise un système patriarcal bien ancré. Or, gouverner pour la paix sociale, la réconciliation, la justice, la rupture, le changement systémique demande de créer des espaces pour un leadership inclusif. Cela implique que les hommes au pouvoir soient conscients du privilège que leur confère leur identité d’homme dans notre pays afin qu’ils puissent apprendre à se décentrer et à inclure d’autres identités dans le système.
Je finirai par ces mots de ma maman Aminata Dieng Dia : “les nouvelles autorités doivent entendre cette indignation. Il n’y a pas de considération sur le profil ou autres justifications qui tiennent. Ce déséquilibre au niveau ministériel doit être rattrapé par la nomination de femmes gouverneurs et préfets pour conduire les politiques déconcentrées, de femmes comme Directrice Générale de sociétés nationales pour implanter le leadership féminin comme levier de transformation et de production de richesses.”
Pour la rupture et le changement systémique souhaité et annoncé, je prie que ces besoins d’inclusion, de mutualité et de représentation équitable soient entendus pour un Sénégal plus juste et prospère.
Ça y est ! La liste tant attendue des membres du gouvernement du président Bassirou Diomaye Diakhar Faye et de son Premier ministre Ousmane Sonko est tombée ce vendredi 5 avril 2024 : 25 ministres et 5 Secrétaires d’État. Si l’on y rajoute le Premier ministre Ousmane Sonko, le ministre Directeur de Cabinet du président de la République Mary Teuw Niane et le Secrétaire général du gouvernement Mohamed Al Aminou Lô, le décompte s’élève à 33 personnes. Nombre de ministres femme : 04, à savoir un dixième (si l’on rajoute dans le décompte le président de la République) des personnes représentées.
Selon le dernier rapport de l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD), la population résidente au Sénégal, recensée en 2023, est de 18 032 473 habitants, dont 8 900 614 femmes (49,4%) et 9 131 859 hommes (50,6%). Les femmes représentent donc près de la moitié de la population sénégalaise, mais ne sont représentées qu’à hauteur d’un dixième dans le gouvernement qui a pour but de les servir et de répondre à leurs attentes.
Certains s’offusquent qu’on puisse s’en offusquer. Après tout, où est le problème ? L’essentiel n’est-il pas d’avoir un gouvernement avec des personnes compétentes et vertueuses ? Pourquoi s’attarder sur des futilités ? À l’heure de la cohésion sociale, à quoi ça sert de critiquer la faible représentation des femmes ? L’idée n’est pas de mettre des femmes pour mettre des femmes et remplir des quotas ou de s’attarder sur des questions de parité et de féminisme - Ces questions de toute façon ne sont pas de chez nous ni de notre culture. D’autres encore diront, d’accord, il y a une sous-représentation des femmes, mais le gouvernement a été mis en place pour répondre aux attentes des Sénégalais et pour se focaliser sur des priorités bien établies. Là, encore, en quoi la représentation de près de la moitié de la population est prioritaire ?
Mon cœur a mal, honnêtement, d’avoir à tout simplement écrire et expliquer en quoi cette faible représentation est problématique. L’enjeu n’est pas “de donner des postes aux femmes” mais de comprendre qu’aucun changement systémique, pour reprendre les mots de notre cher président, ne peut s’opérer de manière durable sans une gouvernance inclusive et équitable. Alors, j’anticipe sur la question : “en quoi un gouvernement sans les femmes n’est pas inclusif et équitable” ? En quelques points :
Les questions de genre ne sont pas l’apanage des femmes, mais un sujet transversal qui touche à tous les secteurs d’activité : les défis économiques, sécuritaires, numériques, migratoires, sanitaires, éducatifs, agricoles, pour ne citer que ces quelques exemples sont intersectionnels. Intersectionnel veut dire qu’ils touchent aussi bien les hommes que les femmes, mais de diverses manières. Les exemples sont pléthores, mais j’en citerai deux. Le premier : les défis auxquels sont confrontés les jeunes filles en termes de scolarisation et d’accès aux études supérieures sont différents de ceux des jeunes garçons.
Bien que la scolarisation des enfants dans leur ensemble doive être promu, il est essentiel d’avoir un regard genre qui permette d’identifier les barrières spécifiques auxquelles sont confrontées les jeunes filles (être refusé le droit à la scolarisation au profit du garçon dans la maison, les lourdeurs des tâches ménagères, les mariages/grossesses précoces, les questions de sécurité qui s’appliquent différemment, les règles douloureuses, etc.) afin d’établir des programmes adaptés à leurs besoins.
Le deuxième concerne les femmes agricultrices qui rencontrent, elles aussi, des challenges différents que ceux rencontrés par les hommes agriculteurs (l’accès à la terre et au financement est très différent pour les hommes et les femmes, surtout en milieu rural sans compter les différences dans la gestion des revenus). Il ne s’agit pas de se focaliser uniquement sur les défis des femmes, mais de comprendre que n’importe quelle politique publique, et ce, dans n’importe quel secteur, a des implications genre. Sans la prise en compte de cette question, les programmes établis ne seront pas adaptés aux besoins spécifiques des personnes à qui elles sont destinées, qu’elles soient hommes ou femmes.
Les femmes ne sont pas un groupe monolithique : la suppression du ministère de la Femme et sa transformation en ministère de la Famille et des solidarités est problématique. Elle pose une question centrale : la confusion entre les questions de genre et d’équité sociale et les questions familiales. Les deux sont liées et s’entrecoupent, mais elles sont différentes et se doivent d’être différenciées. Le rôle de la femme ne se limite pas à la cellule familiale et même au sein de cette celle familiale, les prérogatives données par le droit sénégalais aux hommes et aux femmes doivent être revisitées. Par exemple, la question de l’autorisation de sortie de territoire que les mères doivent faire signer par le père de leur enfant avant de pouvoir voyager avec ce dernier (qu’il soit leur conjoint légal ou pas) montre l’importance de penser les questions d’équité et de justice sociale en profondeur.
La représentation des femmes est un enjeu de bonne gouvernance, de paix, de cohésion sociale, de justice et de “rupture” : la norme, c’est la non-représentation des femmes dans les instances de décision. La norme, c’est d’œuvrer au développement de leur pays dans les plus hautes sphères de responsabilité, sans elles autour de la table pour partager leur perspective. La norme, c’est d’attribuer leur succès à leur collaborateur homme ou encore leur respectabilité à leur rôle de mère ou d’épouse. La norme, c’est leur objectivation sur la scène médiatique et publique. La norme, c’est leur demander de se taire, de parler doucement, de bien se tenir, d’être polie, de sourire, de ne surtout pas être en colère, de baisser la tête. La norme, c’est de les violenter verbalement, physiquement, financièrement, moralement, spirituellement, intellectuellement. La norme, c’est le harcèlement sexuel, le non-respect de leur intelligence et le doute sur leurs compétences. La norme, c’est leur demander de fournir 10 fois plus d’efforts pour dix fois moins d’avantage et de reconnaissance. La norme, c’est de leur offrir des fleurs le 8 mars ou de leur organiser des caravanes, mais pas de créer des espaces et des opportunités pour qu’elles-mêmes soient au pouvoir et décident de leur destin. La norme, c’est de tout mettre sur leurs épaules, de les acclamer pour leur courage, de les couvrir de louanges pour leurs sacrifices et leur dévotion à la souffrance jusqu’à ce qu’elles en meurent à petit feu. La norme, c’est de les critiquer lorsque leurs enfants échouent : après tout, “sa liguéyou ndey la — c’est le travail de ta mère”.
La norme, c’est s’offusquer que les femmes osent s’offusquer de ne voir que quatre femmes représentées dans ce nouveau gouvernement. La rupture, ça aurait été un gouvernement représentatif et inclusif des femmes, chose que ce premier gouvernement du président Bassirou Diomaye Diakhar Faye n’a pas fait. Au contraire, il cristallise un système patriarcal bien ancré. Or, gouverner pour la paix sociale, la réconciliation, la justice, la rupture, le changement systémique demande de créer des espaces pour un leadership inclusif. Cela implique que les hommes au pouvoir soient conscients du privilège que leur confère leur identité d’homme dans notre pays afin qu’ils puissent apprendre à se décentrer et à inclure d’autres identités dans le système.
Je finirai par ces mots de ma maman Aminata Dieng Dia : “les nouvelles autorités doivent entendre cette indignation. Il n’y a pas de considération sur le profil ou autres justifications qui tiennent. Ce déséquilibre au niveau ministériel doit être rattrapé par la nomination de femmes gouverneurs et préfets pour conduire les politiques déconcentrées, de femmes comme Directrice Générale de sociétés nationales pour implanter le leadership féminin comme levier de transformation et de production de richesses.”
Pour la rupture et le changement systémique souhaité et annoncé, je prie que ces besoins d’inclusion, de mutualité et de représentation équitable soient entendus pour un Sénégal plus juste et prospère.
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