Vendredi, les deux rappeurs et leur garde rapprochée devaient être jugés en comparution immédiate devant le tribunal correctionnel pour violences aggravées, deux jours après l’impressionnante bagarre les ayant opposés – à coups de poings, de savates et de fioles de parfum – dans une salle d’embarquement de l’aéroport d’Orly, et dont chaque clan accuse l’autre d’être à l’origine. Mais après une après-midi d’effervescence caniculaire, le président du tribunal a vite douché les espoirs : le procès est renvoyé au 6 septembre prochain. Et les rivaux et leurs neuf acolytes placés en détention provisoire : Fresnes pour la team Kaaris, Fleury-Mérogis pour la team Booba.
«On va les voir gratos, mon frère !»
On aura rarement vu autant de claquettes-chaussettes, de shorts et de lunettes de soleil déferler dans la salle des pas-perdus tout au long de ce vendredi. Au fil des heures (et du bouche-à-oreille), une foule fébrile s’est massée à l’entrée de la salle d’audience. Un jeune s’enflamme : «Deux places de concerts pour Kaaris, tu sais combien ça coûte ? Là, j’t’appelle et, ça y est, on va les voir gratos mon frère !» Journalistes, curieux, aficionados de rap en tee-shirt Tupac… Les premiers arrivés auront attendu pas moins de huit heures pour assister aux «coulisses» du clash. Comme Will, 29 ans : «Les bagarres, y'a rien de plus humain. Les clashs, ça fait partie du rap. Quand j’étais à l’école, personne ne m’a dit que Verlaine avait tiré sur Rimbaud !» Il trouve qu’on parle toujours du rap en négatif «et pas assez des prouesses techniques».
Dans les couloirs, deux teams s’affrontent en silence à coups de style vestimentaire. D’un côté, les «Jeune Riche Paris», comprendre les soutiens de Kaaris à qui appartient la marque. De l’autre, les «Unküt», la firme du «Duc». «Nous, on est les proches de Booba, les très proches quoi… On peut vraiment pas rentrer, là ?», tente un costaud aux chaînes dorées auprès d’une policière comme on amadouerait un videur pour entrer en boîte. Mais la salle d’audience s’est remplie aussi vite que la nouvelle a agité Snapchat et Facebook. Après tout, en plein mois d’août caniculaire à Créteil, quoi de mieux que d’aller voir en chair et en os les protagonistes du clash le plus médiatisé du rap game ?
Déboulant par ribambelles, les gamins du quartier ne s’y sont pas trompé : c’est ici que ça se passe. Ça rigole, ça vanne gentiment. D’un coup, les rôles s’inversent : «Bonjour, vous travaillez pour les chaînes d’info ? C’est du direct, là ?» Abou-Bakr, 13 ans et l’œil filou, vient de surgir. Il vit cité de La Haye-aux-Moines, juste à côté. «Ouais, de base», ce fan de Kaaris – «surtout l’Or Noir, son meilleur album» – est venu pour voir les deux bagarreurs. Mais la déception est palpable : mineur, il ne pourra pas assister à l’audience. Ni son pote : «Il a 18 ans, sauf qu’il est en short donc il a pas le droit !» Un peu plus loin, un confrère assure son direct télévisé en veste de costard… et en short, ce qui ne manque pas de faire sourire Boubakary, accouru de Fontenay-sous-Bois dès qu’il a su. Agent d’escale à l’aéroport de Roissy, le jeune homme de 24 ans était en train de soulever de la fonte à la salle de sport quand il a vu s’afficher l’info de la journée sur le bandeau de BFMTV.
Pères de famille
Il est plus de 21h30 lorsque les frères ennemis du rap français – tous deux sous contrat avec Universal – et leurs compères investissent enfin la cour d’assises, exceptionnellement réquisitionnée pour l’occasion. C’est la seule salle du palais de justice de Créteil offrant deux box pour accueillir les camps adverses séparément. A gauche : «K2A», 38 ans et tee-shirt noir moulant, et trois camarades. A droite : «B2O», 41 ans et biceps tatoués sous marcel blanc, et six comparses. Encadrés par des policiers plus nombreux qu’une équipe de foot (jusqu’à treize côté Booba). «On a des effectifs de police +++», avait prévenu le président du tribunal, craignant des débordements. Il est tard, les prévenus ont patienté des heures durant au dépôt après deux nuits passées en garde à vue. Le président : «Voulez-vous être jugés tout de suite ou voulez-vous un délai ?» Tous veulent l’être aujourd’hui, sauf un. Mais le tribunal en décide autrement, «au regard de l’heure et de la complexité des débats».
Après que la procureure a requis la mise en détention provisoire de sept des onze prévenus, dont les deux rappeurs, en raison de «la violence de la scène» et de la gravité du contexte, les conseils défilent un à un pour éviter à leur client de dormir à l’ombre. «Regardez-le ! Si Monsieur était quelqu’un de violent dans la vie, je peux vous dire que son casier serait garni !» plaide une avocate, pointant du doigt le gabarit impressionnant de son client. «Un casting insolite», inhabituel des comparutions immédiates, souligne Yann Le Bras, l’avocat d’Elie Yaffa a.k.a. Booba. Ils sont presque tous pères de famille, presque tous quadragénaires. Il y a un médiateur à la mairie de Sevran, un célibataire vivant encore chez sa mère, un éducateur dans un centre pour personnes handicapées, un «cuistot diabétique de chez Disney» ou encore le directeur d’Ünkut, la marque de fringues de Booba. La plupart ont des casiers judiciaires pour des délits mineurs, mais pas tous. La dernière mention sur celui du Duc remonte à 2006. L’homme est d’abord «un chef d’entreprise exemplaire», insiste son conseil, égrenant les dates du summer tour que la star aurait dû assurer : Montpellier, Marrakech, Marbella…
Booba : «Ce qui est arrivé est inexcusable, déplorable»
Imposant, Elie Yaffa se lève, mains derrière le dos : «Si j’avais su que Kaaris était là, j’aurais changé mes billets vu les antécédents qu’on a. Ce qui est arrivé est inexcusable, déplorable.» La masse de muscles qui a déclaré «d’importants revenus, mais aussi d’importants crédits immobiliers» lors de sa garde à vue s’engage même «à payer 50% des dommages et intérêts». Booba promet encore : «Je crois que l’abcès a été crevé. Si on doit être irréprochables pour la justice et le rap, ce sera sans problème.» Oubliés les «on le renverra dans le trou duquel on l’a sorti très rapidement» et autres politesses. Le rappeur installé à Miami fait désormais profil bas, tout comme son ex-poulain. «Tout est terminé, tout est apaisé», marmonne dans le box d’en face Okou Armand Gnakouri (a.k.a. Kaaris), qui lançait il fut un temps : «Puisque tu m’as fait, tu sais où me trouver, donc viens me chercher !»
Peu convaincu par cette volonté soudaine d’apaisement, le tribunal a suivi les réquisitions du parquet. Et a même décidé de placer en détention provisoire tous les prévenus au regard de «l’animosité persistante» entre les deux bandes et du «risque majeur de réitération des faits». A l’annonce de la décision, la salle frémit. On s’envoie des signes de soutien à travers les vitres du box, quelques cris fusent. Les forces de l’ordre s’agitent, mais la salle se vide dans le calme.
Dehors, la nuit a fini par tomber sur le tribunal. Posé au pied de la cité, un petit groupe de garçons écoute du rap à fond, voiture portes ouvertes. «Eh, tu fais la groupie Booba-Kaaris !» Un peu à l’écart, des CRS patientent, les yeux rivés au smartphone. C’est calme. D’un coup, résonne «Kalash». Le titre qui avait réuni les deux rappeurs, propulsant Kaaris jusqu’aux oreilles du grand public. On repense alors à cette phrase prononcée par le conseil de «B2O», Me Le Bras : «Est-ce que Booba et Kaaris sont capables de faire la paix ? Est-ce qu’ils sont capables de maturité, de se dire : "là, on est allés trop loin" ?» Les deux figures du rap game, qui risquent jusqu’à sept ans de prison et 100 000 euros d’amende, dorment désormais en prison. Leurs avocats respectifs ont prévu de faire appel de leur incarcération. Notre chauffeur Uber, lui, n’est pas si inquiet : «Limite, ça va leur donner de l’inspi’ : ils vont écrire des textes en cellule.
Liberation
«On va les voir gratos, mon frère !»
On aura rarement vu autant de claquettes-chaussettes, de shorts et de lunettes de soleil déferler dans la salle des pas-perdus tout au long de ce vendredi. Au fil des heures (et du bouche-à-oreille), une foule fébrile s’est massée à l’entrée de la salle d’audience. Un jeune s’enflamme : «Deux places de concerts pour Kaaris, tu sais combien ça coûte ? Là, j’t’appelle et, ça y est, on va les voir gratos mon frère !» Journalistes, curieux, aficionados de rap en tee-shirt Tupac… Les premiers arrivés auront attendu pas moins de huit heures pour assister aux «coulisses» du clash. Comme Will, 29 ans : «Les bagarres, y'a rien de plus humain. Les clashs, ça fait partie du rap. Quand j’étais à l’école, personne ne m’a dit que Verlaine avait tiré sur Rimbaud !» Il trouve qu’on parle toujours du rap en négatif «et pas assez des prouesses techniques».
Dans les couloirs, deux teams s’affrontent en silence à coups de style vestimentaire. D’un côté, les «Jeune Riche Paris», comprendre les soutiens de Kaaris à qui appartient la marque. De l’autre, les «Unküt», la firme du «Duc». «Nous, on est les proches de Booba, les très proches quoi… On peut vraiment pas rentrer, là ?», tente un costaud aux chaînes dorées auprès d’une policière comme on amadouerait un videur pour entrer en boîte. Mais la salle d’audience s’est remplie aussi vite que la nouvelle a agité Snapchat et Facebook. Après tout, en plein mois d’août caniculaire à Créteil, quoi de mieux que d’aller voir en chair et en os les protagonistes du clash le plus médiatisé du rap game ?
Déboulant par ribambelles, les gamins du quartier ne s’y sont pas trompé : c’est ici que ça se passe. Ça rigole, ça vanne gentiment. D’un coup, les rôles s’inversent : «Bonjour, vous travaillez pour les chaînes d’info ? C’est du direct, là ?» Abou-Bakr, 13 ans et l’œil filou, vient de surgir. Il vit cité de La Haye-aux-Moines, juste à côté. «Ouais, de base», ce fan de Kaaris – «surtout l’Or Noir, son meilleur album» – est venu pour voir les deux bagarreurs. Mais la déception est palpable : mineur, il ne pourra pas assister à l’audience. Ni son pote : «Il a 18 ans, sauf qu’il est en short donc il a pas le droit !» Un peu plus loin, un confrère assure son direct télévisé en veste de costard… et en short, ce qui ne manque pas de faire sourire Boubakary, accouru de Fontenay-sous-Bois dès qu’il a su. Agent d’escale à l’aéroport de Roissy, le jeune homme de 24 ans était en train de soulever de la fonte à la salle de sport quand il a vu s’afficher l’info de la journée sur le bandeau de BFMTV.
Pères de famille
Il est plus de 21h30 lorsque les frères ennemis du rap français – tous deux sous contrat avec Universal – et leurs compères investissent enfin la cour d’assises, exceptionnellement réquisitionnée pour l’occasion. C’est la seule salle du palais de justice de Créteil offrant deux box pour accueillir les camps adverses séparément. A gauche : «K2A», 38 ans et tee-shirt noir moulant, et trois camarades. A droite : «B2O», 41 ans et biceps tatoués sous marcel blanc, et six comparses. Encadrés par des policiers plus nombreux qu’une équipe de foot (jusqu’à treize côté Booba). «On a des effectifs de police +++», avait prévenu le président du tribunal, craignant des débordements. Il est tard, les prévenus ont patienté des heures durant au dépôt après deux nuits passées en garde à vue. Le président : «Voulez-vous être jugés tout de suite ou voulez-vous un délai ?» Tous veulent l’être aujourd’hui, sauf un. Mais le tribunal en décide autrement, «au regard de l’heure et de la complexité des débats».
Après que la procureure a requis la mise en détention provisoire de sept des onze prévenus, dont les deux rappeurs, en raison de «la violence de la scène» et de la gravité du contexte, les conseils défilent un à un pour éviter à leur client de dormir à l’ombre. «Regardez-le ! Si Monsieur était quelqu’un de violent dans la vie, je peux vous dire que son casier serait garni !» plaide une avocate, pointant du doigt le gabarit impressionnant de son client. «Un casting insolite», inhabituel des comparutions immédiates, souligne Yann Le Bras, l’avocat d’Elie Yaffa a.k.a. Booba. Ils sont presque tous pères de famille, presque tous quadragénaires. Il y a un médiateur à la mairie de Sevran, un célibataire vivant encore chez sa mère, un éducateur dans un centre pour personnes handicapées, un «cuistot diabétique de chez Disney» ou encore le directeur d’Ünkut, la marque de fringues de Booba. La plupart ont des casiers judiciaires pour des délits mineurs, mais pas tous. La dernière mention sur celui du Duc remonte à 2006. L’homme est d’abord «un chef d’entreprise exemplaire», insiste son conseil, égrenant les dates du summer tour que la star aurait dû assurer : Montpellier, Marrakech, Marbella…
Booba : «Ce qui est arrivé est inexcusable, déplorable»
Imposant, Elie Yaffa se lève, mains derrière le dos : «Si j’avais su que Kaaris était là, j’aurais changé mes billets vu les antécédents qu’on a. Ce qui est arrivé est inexcusable, déplorable.» La masse de muscles qui a déclaré «d’importants revenus, mais aussi d’importants crédits immobiliers» lors de sa garde à vue s’engage même «à payer 50% des dommages et intérêts». Booba promet encore : «Je crois que l’abcès a été crevé. Si on doit être irréprochables pour la justice et le rap, ce sera sans problème.» Oubliés les «on le renverra dans le trou duquel on l’a sorti très rapidement» et autres politesses. Le rappeur installé à Miami fait désormais profil bas, tout comme son ex-poulain. «Tout est terminé, tout est apaisé», marmonne dans le box d’en face Okou Armand Gnakouri (a.k.a. Kaaris), qui lançait il fut un temps : «Puisque tu m’as fait, tu sais où me trouver, donc viens me chercher !»
Peu convaincu par cette volonté soudaine d’apaisement, le tribunal a suivi les réquisitions du parquet. Et a même décidé de placer en détention provisoire tous les prévenus au regard de «l’animosité persistante» entre les deux bandes et du «risque majeur de réitération des faits». A l’annonce de la décision, la salle frémit. On s’envoie des signes de soutien à travers les vitres du box, quelques cris fusent. Les forces de l’ordre s’agitent, mais la salle se vide dans le calme.
Dehors, la nuit a fini par tomber sur le tribunal. Posé au pied de la cité, un petit groupe de garçons écoute du rap à fond, voiture portes ouvertes. «Eh, tu fais la groupie Booba-Kaaris !» Un peu à l’écart, des CRS patientent, les yeux rivés au smartphone. C’est calme. D’un coup, résonne «Kalash». Le titre qui avait réuni les deux rappeurs, propulsant Kaaris jusqu’aux oreilles du grand public. On repense alors à cette phrase prononcée par le conseil de «B2O», Me Le Bras : «Est-ce que Booba et Kaaris sont capables de faire la paix ? Est-ce qu’ils sont capables de maturité, de se dire : "là, on est allés trop loin" ?» Les deux figures du rap game, qui risquent jusqu’à sept ans de prison et 100 000 euros d’amende, dorment désormais en prison. Leurs avocats respectifs ont prévu de faire appel de leur incarcération. Notre chauffeur Uber, lui, n’est pas si inquiet : «Limite, ça va leur donner de l’inspi’ : ils vont écrire des textes en cellule.
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