«Le président ne rompt pas. Il préfère laisser s’installer l’indifférence. Aux autres d’avoir la force de s’en aller.»
Cette méthode mitterrandienne dans la gestion du pouvoir, si bien dépeinte par Roland Dumas, pourrait bel et bien s’appliquer à la démarche du président Blaise Compaoré. Effectivement, Roch, Salif, Simon que certains appelaient les «fanatiques» du président, eux qui faisaient partie de la cour, ont enfin trouvé en eux, «la force de s’en aller». En démissionnant avec fracas du parti présidentiel, le CDP, ces trois ténors de la vie politique nationale assument très clairement leur rupture politique avec le régime Compaoré. Qu’on le veuille ou non, les départs de Roch, Salif et Simon du CDP signent la fin brutale de leur longue amitié politique avec le président Compaoré.
La fin d’une époque
Par conviction politique, par ambition personnelle, ces trois ténors ne souhaitent plus pousser le président Compaoré à une nouvelle candidature à la présidentielle de 2015. En d’autres termes, ils ont choisi de lui indiquer la porte de sortie au terme de son mandat actuel. Evidemment, Roch, Salif et Simon ne peuvent pas jouer «les Messieurs propres», eux qui faisaient partie de ce petit clan aux intérêts partagés, prêts à prendre tous les risques pour maintenir en place le régime Compaoré.
Tous les connaisseurs de la vie politique burkinabè aiment à souligner queSalif Diallo - , qui traîne toujours sa réputation de «conspirateur», a partagé tous les secrets du président. Aujourd’hui, il a choisi de «dé-diviniser» son ex-mentor. Au Burkina Faso, avec ces démissions en cascade au CDP, c’est tout un monde, politiquement, qui se défait. Et, au CDP, on broie du noir.
Derrière les déclarations rassurantes, voire viriles, les premiers responsables du parti présidentiel, les militants, sont sonnés, désemparés, perdus. Ils sont en colère, en voyant les dirigeants de leur appareil politique impuissants, comme s’ils craignaient tous d’être engloutis par le flot d’angoisses engendré par les démissionnaires. Pour se défendre et contre-attaquer, les dirigeants du CDP font le dos rond. Jamais Machiavel n’a fait nulle part l’actualité comme au Burkina, en ce moment. Ainsi, à l’instar de la description pessimiste de la nature humaine faite par Machiavel dans Le Prince, on entend les ténors du CDP affirmer que les démissionnaires sont ingrats, changeants, simulateurs, traîtres, avides de gains et de gloire. Pourtant, Machiavel lui-même précisait que, parce qu’il est l’œuvre des hommes, «l’art politique» devrait prendre en compte ces derniers avec leurs défauts et leurs vertus, leurs forces et leurs faiblesses.
C’est sous cet angle machiavélien qu’il faut saisir la portée politique du «mea culpa» de Roch Kaboré concernant ses errements et égarements sur la révision de l’article 37 de la Constitution. Evidemment, ce repentir, si rare chez les politiciens, ne peut que le grandir dans sa nouvelle démarche politique. Il faut prendre au sérieux ces démissionnaires lorsqu’ils proclament leur désir de paix et leur attachement au système républicain de limitation des mandats. En démasquant les erreurs fatales qui ont affaibli, moralement et politiquementle Burkina, les démissionnaires rendent un service utile à l’avenir de notre système démocratique. L’histoire enseigne que partout où une démocratie dégénère, elle peut se transformer en tyrannie.
Zéphirin Diabré, doit changer de stratégie
Face aux démissions de ses fidèles compagnons du parti qu’ils avaient fondé ensemble, Blaise Compaoré, un habitué des situations politiques les plus difficiles, est placé devant un choix épineux. Très franchement, il est dans une situation critique, car rien n’indique qu’il s’attendait à être lâché par ces trois fidèles en vue. Que va-t-il décider?
Il fera tout pour maintenir son pouvoir, et s’il le faut, il reculera pour mieux sauter. Mais avec les démissions de Roch, Salif et Simon, désormais, ceux qui se battent pour l’alternance au Burkina ont plus de foi que ceux qui se battent pour maintenir le statu quo.
A l’heure actuelle, plus rien ne semble pouvoir arrêter les démissionnaires, décidés à aller jusqu’au bout de leur entreprise politique, avec la création annoncée de leur propre parti. Ce qui est certain, nous n’avons pas affaire à des novices en politique. Salif, Roch, Simon sont des meneurs politiques populaires, disposant d’une réelle et solide assise militante sur le territoire national. Du coup, l’opposition burkinabè incarnée par Zéphirin Diabré est condamné à repenser sa stratégie politique. Car, le dénouement salutaire de la crise d’identité politique que traversait le CDP, entraîne, de facto, une reconfiguration inédite de la scène politique nationale.
D’ailleurs, au sein de l’actuelle Assemblée nationale, nombre de députés CDP proches des démissionnaires, mais craignant des représailles, vont continuer à soutenir du bout des lèvres leur «parti» dont ils ne partagent pas la nouvelle orientation dans leur for intérieur. Bien sûr, la politique, art de l’évaluation et de la décision, est du reste une passion humaine que seuls «les romanciers» savent si bien dépeindre. Au Burkina, on assiste au crépuscule politique d’une époque et rien ne sera plus comme avant.
Une chose est sûre et certaine, Roch a son plan et la certitude de son destin. Homme de réseaux, connaissant parfaitement l’appareil d’Etat, doté d’un charisme et d’un talent politique réel, Roch ne manque pas d’ambitions pour la présidentielle de 2015. Et il a les moyens nécessaires pour accomplir son nouveau destin politique. Mais l’homme réussira-t-il à briser auprès du peuple burkinabè, son image d’homme de continuité du régime Compaoré ? Rien n’est moins sûr. Mais quoi qu’il en soit, avec ces démissions au sein du CDP, au Burkina, l’alternance devient, enfin, possible.
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