Trois mois que Tor Tyav n'a pas remis les pieds à Mbathie, un des districts de Buruku à une cinquantaine de kilomètres de Markudi, la capitale de l'Etat de Benue. Après une riche carrière de technicien hospitalier, rare spécialiste au Nigeria des appareils de dialyse rénale, Tor Tyav pensait pouvoir profiter de sa retraite pour lancer le projet qui lui a toujours tenu à cœur : créer une structure de santé dans son village. Et soulager les fermiers des environs. Il faut parfois parcourir des kilomètres pour se soigner. Cette clinique aurait été un vrai plus pour Mbathie.
Il ne restait plus que la dernière étape avant l'ouverture. Le passage devant la commission d'homologation. Une étape reportée sine die. Tor Tyav est amer : « Il y a trop d'insécurité en ce moment à Mbathie. Il y a trois semaines, un groupe de pasteurs peuls faisaient encore régner sa loi. Aujourd'hui, ils se sont repliés ailleurs, mais peuvent revenir à tout moment ».
Mbathie s'est vidé de sa population et donne l'impression d'être une zone fantôme. L'intensité des heurts avec des groupes de pasteurs peuls a provoqué un exode massif. « Rien que sur Mbathie, nous avons recensé plus de 12 000 personnes déplacées », assure Tor Tyav, en tournant les feuillets de son classeur où il répertorie et compile toutes les informations possibles. « Certains fermiers viennent parfois en journée pour labourer leurs champs. Vous savez, nous sommes en pleine saison de culture du manioc, du millet et de l'igname. Mais le soir, personne ne reste dormir à Mbathie, c'est trop dangereux. Il n'y a pas de camps à proprement parler ». Lui-même a déserté les lieux et habite avec son épouse une petite maison à à peine cinq kilomètres de Mbathie. Il se raccroche à la présidence du comité pour la paix de Mbathie, pour ne pas sombrer dans la dépression. Car de fait, Tor Tyav est aussi un déplacé interne. « Mes enfants ne comprennent pas pourquoi ma compagne et moi nous restons en zone dangereuse. Ils préféraient nous savoir à Markudi. Mais, que voulez-vous, c'est plus fort que moi ».
« Le dialogue est impossible »
Des fermiers tivs de l'Etat de Bernue, Nigeria. © RFI/Moïse Gomis
En tant que président du comité, il sillonne avec son adjoint Asen Neer régulièrement tous les secteurs de Buruku, pour s'enquérir des nouvelles des uns, constater les dégâts sur l'habitat. Et surtout, les deux hommes apportent un réconfort psychologique à une communauté fermière, traumatisée de devoir abandonner ses terres, humiliée de ne pas être en capacité de pouvoir répondre aux rapports de forces instituées par des bergers peuls. A Mpaaben, non loin de Mbathie, Mbakorkaa Awase est revenu en pointillé dans sa maison. Il s'est calé sur la présence de l'armée, basée désormais aux portes de Buruku et filtrant les entrées du village avec des civils volontaires. Et se tient prêt à repartir au premier accrochage : « Si un berger pénètre avec son troupeau sur votre champ, vous aurez beau lui dire que vous êtes en train de cultiver, il vous rétorquera que pour lui c'est la brousse. Pour lui, ses vaches et bœufs mangent de l'herbe et des feuilles. Et que pour lui ces bêtes ne mangent que ça sur ce terrain-là. Bref il estimera, pourquoi lui contester le droit de nourrir ses animaux. Donc le dialogue est impossible ».
Plus près de Markudi, la situation est moins tendue, même si les échos et rumeurs des frictions et ressentiments dans l'hinterland remontent en ricochet. Néanmoins, Peuls et Tivs conservent contre vents et marées des alliances dans certains villages. Locations de terrain, partages de point d'eau. La parenté à plaisanterie a préservé le lien unissant bergers nomades et fermiers sédentaires, un lien fragilisé par la récurrence de heurts, mais lien toujours vivant. C'est le cas par exemple à Daudu, où une communauté peule et musulmane a eu l'autorisation d'installer son campement permanent. Juste à proximité d'un édifice ouvert aux 4 vents et servant de lieu de culte chrétien, et d'où l'on aperçoit au bout du chemin les premiers toits en paille du principal hameau où résident les fermiers.
Cycles de violence
Daudu a connu une crise majeure en 2013, avec toujours comme toile de fond une compétition sans merci et acharnée pour l'accès aux pâturages et aux points d'eau. Venant du l'Etat de Kaduna, dans le nord du Nigeria, Alhaji Salimu était déjà là à l'époque avec son clan et son troupeau. Deux de ses frères sont tombés en conduisant le troupeau, victimes d'un guet-apens meurtrier tendu par des fermiers présumés. Alhaji Salimu reste marqué : « Vous savez quand en mars j'ai entendu parler des gros incidents à l'autre bout de l'Etat de Benue, à Agatu, j'ai pris peur. Pendant deux mois et demi, je n'ai plus mis les pieds à Markudi, car je sais suffisamment comment les choses se peuvent se passent ». Sur l'origine des violences attribuée à des bergers peuls armés, Alhaji n'a pas de réponse précise. Néanmoins, il reconnaît « que la violence n'est pas une solution ».
Ibrahim Hassan connait bien la communauté peule de Daudu, ainsi que leurs voisins Tiv. Ibrahim Hassan est médiateur au sein de Pastorale Resolve, une organisation non gouvernementale spécialisée dans la résolution de conflits en milieu rural. Il est intervenu avec un groupe de médiateurs parlant peul et tiv pour apaiser les tensions de Daudu post 2013. Pour Ibrahim Hassan, la résurgence des problèmes, ce sont « malheureusement des conflits qui étaient circonscrits à des localités, dégénérant en des proportions dramatiques. Ces groupes de bergers armés, je ne sais pas si ce sont des mercenaires, en tout cas attaquent des fermiers. Et ces fermiers victimes se vengent sur les bergers et leur troupeau vivant à proximité. Bien souvent des bergers qu'ils connaissent qu'ils fréquentent. Et on entre ainsi dans un cercle vicieux de vengeances sans fin et surtout indistinctes ».
Ces cycles de violence dans l'Etat du Benue, mais aussi ailleurs dans le Middle Belt du Nigeria sont un nouveau motif d'inquiétude pour les autorités fédérales, obnubilées jusque-là par l'insurrection dans le Nord-Est et le réveil de la rébellion dans le delta du Niger. Fin avril, le président Muhammadu Buhari est sorti de son silence et a donné l'ordre aux forces de défense et de police de restaurer la cohésion publique dans un certain nombre de localités frappées par des tueries entre bergers et fermiers. La stratégie du gouvernement fédéral étant de travailler en parallèle sur la mise en place de réserve de pâturage, et surtout d'espace de « ranching ». A Daudu, Alhaji Salimu attend que ces projets voient le jour, car il estime que « si le gouvernement fait ça, ça voudra dire qu'il y aura aussi la mise en place d'école pour nos enfants et de centres vétérinaires pour nos animaux. Ce jour-là, nous aurons une vraie reconnaissance ».
Source: Rfi.fr
Il ne restait plus que la dernière étape avant l'ouverture. Le passage devant la commission d'homologation. Une étape reportée sine die. Tor Tyav est amer : « Il y a trop d'insécurité en ce moment à Mbathie. Il y a trois semaines, un groupe de pasteurs peuls faisaient encore régner sa loi. Aujourd'hui, ils se sont repliés ailleurs, mais peuvent revenir à tout moment ».
Mbathie s'est vidé de sa population et donne l'impression d'être une zone fantôme. L'intensité des heurts avec des groupes de pasteurs peuls a provoqué un exode massif. « Rien que sur Mbathie, nous avons recensé plus de 12 000 personnes déplacées », assure Tor Tyav, en tournant les feuillets de son classeur où il répertorie et compile toutes les informations possibles. « Certains fermiers viennent parfois en journée pour labourer leurs champs. Vous savez, nous sommes en pleine saison de culture du manioc, du millet et de l'igname. Mais le soir, personne ne reste dormir à Mbathie, c'est trop dangereux. Il n'y a pas de camps à proprement parler ». Lui-même a déserté les lieux et habite avec son épouse une petite maison à à peine cinq kilomètres de Mbathie. Il se raccroche à la présidence du comité pour la paix de Mbathie, pour ne pas sombrer dans la dépression. Car de fait, Tor Tyav est aussi un déplacé interne. « Mes enfants ne comprennent pas pourquoi ma compagne et moi nous restons en zone dangereuse. Ils préféraient nous savoir à Markudi. Mais, que voulez-vous, c'est plus fort que moi ».
« Le dialogue est impossible »
Des fermiers tivs de l'Etat de Bernue, Nigeria. © RFI/Moïse Gomis
En tant que président du comité, il sillonne avec son adjoint Asen Neer régulièrement tous les secteurs de Buruku, pour s'enquérir des nouvelles des uns, constater les dégâts sur l'habitat. Et surtout, les deux hommes apportent un réconfort psychologique à une communauté fermière, traumatisée de devoir abandonner ses terres, humiliée de ne pas être en capacité de pouvoir répondre aux rapports de forces instituées par des bergers peuls. A Mpaaben, non loin de Mbathie, Mbakorkaa Awase est revenu en pointillé dans sa maison. Il s'est calé sur la présence de l'armée, basée désormais aux portes de Buruku et filtrant les entrées du village avec des civils volontaires. Et se tient prêt à repartir au premier accrochage : « Si un berger pénètre avec son troupeau sur votre champ, vous aurez beau lui dire que vous êtes en train de cultiver, il vous rétorquera que pour lui c'est la brousse. Pour lui, ses vaches et bœufs mangent de l'herbe et des feuilles. Et que pour lui ces bêtes ne mangent que ça sur ce terrain-là. Bref il estimera, pourquoi lui contester le droit de nourrir ses animaux. Donc le dialogue est impossible ».
Plus près de Markudi, la situation est moins tendue, même si les échos et rumeurs des frictions et ressentiments dans l'hinterland remontent en ricochet. Néanmoins, Peuls et Tivs conservent contre vents et marées des alliances dans certains villages. Locations de terrain, partages de point d'eau. La parenté à plaisanterie a préservé le lien unissant bergers nomades et fermiers sédentaires, un lien fragilisé par la récurrence de heurts, mais lien toujours vivant. C'est le cas par exemple à Daudu, où une communauté peule et musulmane a eu l'autorisation d'installer son campement permanent. Juste à proximité d'un édifice ouvert aux 4 vents et servant de lieu de culte chrétien, et d'où l'on aperçoit au bout du chemin les premiers toits en paille du principal hameau où résident les fermiers.
Cycles de violence
Daudu a connu une crise majeure en 2013, avec toujours comme toile de fond une compétition sans merci et acharnée pour l'accès aux pâturages et aux points d'eau. Venant du l'Etat de Kaduna, dans le nord du Nigeria, Alhaji Salimu était déjà là à l'époque avec son clan et son troupeau. Deux de ses frères sont tombés en conduisant le troupeau, victimes d'un guet-apens meurtrier tendu par des fermiers présumés. Alhaji Salimu reste marqué : « Vous savez quand en mars j'ai entendu parler des gros incidents à l'autre bout de l'Etat de Benue, à Agatu, j'ai pris peur. Pendant deux mois et demi, je n'ai plus mis les pieds à Markudi, car je sais suffisamment comment les choses se peuvent se passent ». Sur l'origine des violences attribuée à des bergers peuls armés, Alhaji n'a pas de réponse précise. Néanmoins, il reconnaît « que la violence n'est pas une solution ».
Ibrahim Hassan connait bien la communauté peule de Daudu, ainsi que leurs voisins Tiv. Ibrahim Hassan est médiateur au sein de Pastorale Resolve, une organisation non gouvernementale spécialisée dans la résolution de conflits en milieu rural. Il est intervenu avec un groupe de médiateurs parlant peul et tiv pour apaiser les tensions de Daudu post 2013. Pour Ibrahim Hassan, la résurgence des problèmes, ce sont « malheureusement des conflits qui étaient circonscrits à des localités, dégénérant en des proportions dramatiques. Ces groupes de bergers armés, je ne sais pas si ce sont des mercenaires, en tout cas attaquent des fermiers. Et ces fermiers victimes se vengent sur les bergers et leur troupeau vivant à proximité. Bien souvent des bergers qu'ils connaissent qu'ils fréquentent. Et on entre ainsi dans un cercle vicieux de vengeances sans fin et surtout indistinctes ».
Ces cycles de violence dans l'Etat du Benue, mais aussi ailleurs dans le Middle Belt du Nigeria sont un nouveau motif d'inquiétude pour les autorités fédérales, obnubilées jusque-là par l'insurrection dans le Nord-Est et le réveil de la rébellion dans le delta du Niger. Fin avril, le président Muhammadu Buhari est sorti de son silence et a donné l'ordre aux forces de défense et de police de restaurer la cohésion publique dans un certain nombre de localités frappées par des tueries entre bergers et fermiers. La stratégie du gouvernement fédéral étant de travailler en parallèle sur la mise en place de réserve de pâturage, et surtout d'espace de « ranching ». A Daudu, Alhaji Salimu attend que ces projets voient le jour, car il estime que « si le gouvernement fait ça, ça voudra dire qu'il y aura aussi la mise en place d'école pour nos enfants et de centres vétérinaires pour nos animaux. Ce jour-là, nous aurons une vraie reconnaissance ».
Source: Rfi.fr
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