« Nous ne nous laisserons jamais impressionner ni pousser à abandonner notre religion », a lancé l'émir de Kano à l'attention des assaillants de vendredi. A peine de retour après un voyage en Arabie Saoudite, Mohamed Sanusi s'est rendu dans sa mosquée, celle où il prêche d'habitude tous les vendredis. Il l'a découverte souillée par des restes humains, des flaques de sang, chaussures et tapis de prière abandonnés par ceux qui fuyaient. Une visite au pas de course qui a duré à peine 20 minutes.
L'émir de Kano, deuxième personnalité religieuse du pays, a surtout insisté pour que la mosquée soit nettoyée, remise en état et que les prières reprennent au plus vite avec, a-t-il ajouté, une sécurité renforcée. Mohamed Sanusi a également suggéré que ces attaques avaient été préparées longtemps à l'avance, référence à l'arrestation d'un individu suspect près de cette mosquée il y a environ deux mois. Pas de grand discours donc pour un émir en temps normal plus volubile. Il s’agissait plus d’une visite à but pratique.
Ancien directeur de la banque centrale, très critique envers le président Goodluck Jonathan qui l'avait d'ailleurs démis de ses fonctions, Sanusi Lamido Sanusi est devenu Mohamed Sanusi, l'émir de Kano, en juin dernier. Accusant le gouvernement de ne rien faire face à la menace Boko Haram, il a profité de son nouveau statut pour inciter les communautés du Nord à se défendre elles-mêmes en créant des milices locales d'autodéfense avec le soutien des chefs traditionnels. Peut-être l'une des raisons pour lesquelles Kano serait devenue une cible.
Appel à donner du sang
Outre les 120 morts, le double attentat à la bombe et la fusillade qui a suivi ont fait quelque 270 blessés qui ont pour certains désespérément besoin de transfusion. Les autorités et la Croix-Rouge ont donc appelé samedi les habitants de la ville à donner leur sang. Aminou Aboubacar est le correspondant de RFI en anglais au Nigeria. Il raconte : « Les autorités ont lancé avec frénésie des appels à la radio et par SMS pour que les habitants viennent donner leur sang parce que les stocks de sang se sont épuisés alors que les besoins au niveau des transfusions sont énormes tant les blessés ont perdu du sang. On a vu des docteurs, des aides-soignants et des volontaires travailler d'arrache-pied 24 heures sur 24, témoigne-t-il. On a vu aussi hier les familles enterrer les corps de leurs proches dans les différents cimetières de la ville. La plupart des victimes viennent du centre de Kano et de nombreuses familles se sont vu remettre leurs corps à la morgue dès vendredi soir ».
Après le choc, la colère des habitants
A Kano, la population est bien sûr sous le choc. Mais la colère semble avoir pris le pas sur la douleur, comme le raconte le correspondant de RFI en anglais : « Au début, les gens étaient sous le choc, mais après le choc, il y a eu l'indignation et la colère, explique-t-il. Colère contre le gouvernement, car selon les habitants de Kano, le gouvernement ne fait pas assez pour stopper cette violence dans le nord-est. Violence qui menace de se propager à travers toute la région. Il y a tant de colère contre le gouvernement car il ne fait rien, c'est ce que disent les familles des victimes et les gens dans la rue, et la plupart soupçonnent le gouvernement de ne rien faire délibérément, pour tirer – alors que les élections approchent – un profit politique de la situation qui voit le nord-est s'enfoncer de plus en plus dans la crise. Et cet attentat semble avoir convaincu beaucoup de monde, de civils de prendre les armes et de combattre Boko Haram et donc de répondre à l'appel de l'émir de Kano qui les a encouragés à prendre cette voie. Déjà vendredi, malgré le carnage, des civils ont pris en chasse des assaillants et ont tué quatre d'entre eux. Et vendredi, rapporte encore Aminou Aboubacar, un volontaire qui se trouvait à l'extérieur de la mosquée, là où les blessés étaient rassemblés, m'a dit que les assaillants devaient bien avoir à l'esprit que quiconque attaquerait les gens de Kano s'exposerait désormais à rencontrer la mort au tournant ».
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