Leurs uniformes dissimulés sous leurs hardes, les rebelles font preuve d’une telle discrétion qu’ils arrivent à Kolwezi, ville minière du Shaba (ex-Katanga), sans être repérés. Quelques heures avant le début des combats, le 13 mai 1978, rien ne laisse présager qu’ils sont sur le point de déclencher une opération qui finira par coûter la vie à plus de 850 personnes.
Dès le déclenchement de l’opération « Colombe », les Forces armées zaïroises subissent d’importantes pertes : des unités se volatilisent ; sept avions et cinq hélicoptères sont détruits.
A Kinshasa, les autorités mettent en cause des « mercenaires angolais ». Il s’agit, en réalité, des soldats du général Nathanaël Mbumba, un ancien policier de Kolwezi. Cet homme, qu’on décrit comme autoritaire et caractériel, se dit « révolutionnaire » sans être marxiste. En Angola, il a pris la tête des « gendarmes katangais », l’ex-milice de Moïse Tshombé, bête noire de l’Afrique depuis qu’il a proclamé l’indépendance du Katanga et participé à l’assassinat du Premier ministre congolais, Patrice Lumumba, en 1961.
Pour pénétrer au Zaïre depuis leur base arrière, en Angola, les combattants du Front national de libération du Congo (FNLC) sont passés par le nord-ouest de la Zambie, que le président Kenneth Kaunda a du mal à contrôler.
A Kolwezi, les rebelles, que l’opposition en exil présente comme un « embryon d’armée populaire », ne s’en prennent pas, dans un premier temps, aux 3 000 civils occidentaux, principalement belges, sur place. Bon nombre travaillent à la Gécamines, le géant minier.
Les « tigres » du FNLC investissent l’hôtel Impala, qu’ils transformeront en poste de contrôle. C’est là que logent les six coopérants militaires français. Ces militaires, cinq adjudants et un lieutenant sont de passage à Kolwezi pour assurer l’entretien de véhicules blindés et hélicoptères que la France a donnés au Zaïre.
Avant la fin de la journée, alors que les insurgés contrôlent la ville et son aéroport, le président du Zaïre, le général Mobutu, demande à la France « toute l’aide en son pouvoir dans tous les domaines », selon un télégramme du ministère français des Affaires étrangères.
Bière et drogues africaines
Les rebelles assassinent des civils européens à partir du 15 mai. Ce jour-là, huit Belges et un Italien sont tués. Mais, deux jours plus tard, les exactions ont déjà coûté la vie à 120 Européens ; 38 cadavres seront même retrouvés à un seul endroit, constate l’ambassadeur de France au Zaïre, André Ross, en visite à Kolwezi.
Ce dernier accuse des « tigres » hors de contrôle, leurs instructeurs cubains étant restés aux portes de la ville. « Ils avaient perdu toute discipline à la suite du départ de leurs cadres étrangers et en raison de l’absorption de bière et peut-être de drogues africaines, écrit l’ambassadeur. Mais on ne saurait écarter qu’il puisse s’agir d’une violence délibérée destinée à frapper d’épouvante les Européens du Zaïre et à provoquer leur exode massif. ».
Tant pis si ces 38 Européens-là ont été « très probablement » massacrés par les soldats de Mobutu, écrira l’historien belge David van Reybrouck (sur la foi d’un témoignage du pilote d’hélicoptère Pierre Yambuya) car le général est prêt à tout « pour avoir une armée occidentale à ses côtés ».
L’Élysée craint un « massacre des Européens » ; 2 500 « Blancs », dont 1 700 Belges, sont sur place, précise un télégramme du Quai d'Orsay, le siège du ministère français des Affaires étrangères à Paris. Le président Valéry Giscard d’Estaing (VGE) demande au chef d’état-major des armées de préparer une intervention urgente. Le 19 mai, un premier groupe d’environ 400 parachutistes sautera donc sur l’ancien aéroclub de Kolwezi vers 15h30 ; un second, moins important, vers 17h. Des rebelles s'enfuient aussitôt, d'autres pas.
Lorsque VGE prend la parole à la télévision pour expliquer pourquoi des légionnaires ont sauté sur Kolwezi, il insiste sur l’aspect humanitaire, qu’il qualifie de « problème de sécurité », sans jamais mentionner les six militaires français dont on est sans nouvelles.
On redoute qu’ils aient été faits prisonniers. A Kolwezi, les tout premiers légionnaires sur place se précipitent à l’hôtel Impala, où les six « assistants militaires techniques » ont été vus pour la dernière fois. C’est peine perdue.
Ils ont été faits prisonniers, croit savoir l’ambassade des Etats-Unis à Kinshasa, en précisant cependant qu’elle entretient des doutes sur la crédibilité de la source. Les diplomates en poste au Zaïre craignent que les insurgés ne les amènent avec eux en Angola ; le spectre d’une prise d’otages est dans tous les esprits.
Une autorisation « d’abattre les otages »
Deux semaines après que les six coopérants ont été portés disparus, une source militaire (dont la nationalité n’est pas précisée) fait suivre au Quai d’Orsay le contenu d’une « interception radio » : un chef rebelle en route pour l’Angola demande au général Mbumba, lors d’une halte en Zambie, « l’autorisation d’abattre les otages qui ont été capturés au Zaïre en prétextant qu’ils alourdissent la colonne et gênent ses mouvements ».
Une autre source assure qu’un second groupe d’otages européens a déjà gagné l’Angola. « Il n’est pas impossible que certains des coopérants militaires soient parmi eux », écrit l’ambassadeur Ross.
Les documents diplomatiques communiqués par le Quai d’Orsay font penser que l’ambassade a cherché à les retrouver pendant plusieurs mois. Un médecin légiste viendra exprès de l’Institut médico-légal de Paris pour tenter d’identifier des corps qui ont été, dans un premier temps, enterrés dans un charnier, puis transférés dans le cimetière.
Leurs dépouilles seront exhumées, en septembre 1978, en présence d’un prêtre catholique et du Dr Alain Haertig. Mais ce dernier, qui allait devenir directeur du département de médecine légale de l’université Paris VI, ne réussira pas à identifier des corps, explique-t-il à RFI, « déjà décomposés ».
A Paris, la presse évoquera brièvement le sort des six coopérants, mais finira par s’en désintéresser. Différentes hypothèses seront avancées par des écrivains.
Deux ans plus tard, en 1980, un écrivain et ancien para, Jean Pouget, affirmera dans Le Figaro que l’un des six, Christian Césario, un mécanien d’hélicoptère, a réussi à sortir de l’hôtel, se procurer une arme et « se battre seul contre cent ».
En 2012, dans Histoire politique des services secrets français, Roger Faligot, Jean Guisnel et Rémi Kauffer écriront que les six coopérants, présentés comme des « instructeurs parachutistes », ont été exécutés après avoir été condamnés à mort par un « tribunal populaire » présidé par un Allemand de l’Est.
En 2016, un chercheur belge, Erik Kennes, co-auteur de The Katangese Gendarmes and War in Central Africa, arrivera à une tout autre conclusion après avoir interrogé, à Kinshasa, un officier du FNLC, aujourd’hui décédé. Ce dernier dira avoir fait fusiller trois d’entre eux à leur hôtel dès qu’il les a aperçus, sans expliquer ce qui était arrivé aux trois autres.
D’après la retranscription de l’interview, dont RFI a pris connaissance, ce rebelle affirme avoir surpris les Français en train d’observer les avions brûler sur l’aéroport. « On les a abattus, dit-il. C'est avec leur jeep que j'ai circulé en ville. »
En juillet 1979, ces six militaires ont été décorés. Le lieutenant d’active Jacques Laissac et l’adjudant-chef Pierre van Nuvel deviendront Chevaliers de la Légion d’honneur ; les adjudants Jacques Gomilla, Christian Césario, Jacques Bireau et Bernard Laurent recevront la Médaille militaire. Les pièces versées à leurs dossiers, communicables en 2029, apporteront peut-être un nouvel éclairage sur leurs disparitions.
Quinze autres Français sont « officiellement » ou « probablement » décédés au Shaba, selon un document d’archives daté du 22 juin 1978. Cinq légionnaires y perdront la vie entre le 19 et 27 mai dans de rudes combats avec les rebelles.
Le bilan des victimes civiles zaïroises, tuées par suite des échanges de tirs entre les paras et les rebelles aux abois, allait se révéler beaucoup plus lourd.
Dès le déclenchement de l’opération « Colombe », les Forces armées zaïroises subissent d’importantes pertes : des unités se volatilisent ; sept avions et cinq hélicoptères sont détruits.
A Kinshasa, les autorités mettent en cause des « mercenaires angolais ». Il s’agit, en réalité, des soldats du général Nathanaël Mbumba, un ancien policier de Kolwezi. Cet homme, qu’on décrit comme autoritaire et caractériel, se dit « révolutionnaire » sans être marxiste. En Angola, il a pris la tête des « gendarmes katangais », l’ex-milice de Moïse Tshombé, bête noire de l’Afrique depuis qu’il a proclamé l’indépendance du Katanga et participé à l’assassinat du Premier ministre congolais, Patrice Lumumba, en 1961.
Pour pénétrer au Zaïre depuis leur base arrière, en Angola, les combattants du Front national de libération du Congo (FNLC) sont passés par le nord-ouest de la Zambie, que le président Kenneth Kaunda a du mal à contrôler.
A Kolwezi, les rebelles, que l’opposition en exil présente comme un « embryon d’armée populaire », ne s’en prennent pas, dans un premier temps, aux 3 000 civils occidentaux, principalement belges, sur place. Bon nombre travaillent à la Gécamines, le géant minier.
Les « tigres » du FNLC investissent l’hôtel Impala, qu’ils transformeront en poste de contrôle. C’est là que logent les six coopérants militaires français. Ces militaires, cinq adjudants et un lieutenant sont de passage à Kolwezi pour assurer l’entretien de véhicules blindés et hélicoptères que la France a donnés au Zaïre.
Avant la fin de la journée, alors que les insurgés contrôlent la ville et son aéroport, le président du Zaïre, le général Mobutu, demande à la France « toute l’aide en son pouvoir dans tous les domaines », selon un télégramme du ministère français des Affaires étrangères.
Bière et drogues africaines
Les rebelles assassinent des civils européens à partir du 15 mai. Ce jour-là, huit Belges et un Italien sont tués. Mais, deux jours plus tard, les exactions ont déjà coûté la vie à 120 Européens ; 38 cadavres seront même retrouvés à un seul endroit, constate l’ambassadeur de France au Zaïre, André Ross, en visite à Kolwezi.
Ce dernier accuse des « tigres » hors de contrôle, leurs instructeurs cubains étant restés aux portes de la ville. « Ils avaient perdu toute discipline à la suite du départ de leurs cadres étrangers et en raison de l’absorption de bière et peut-être de drogues africaines, écrit l’ambassadeur. Mais on ne saurait écarter qu’il puisse s’agir d’une violence délibérée destinée à frapper d’épouvante les Européens du Zaïre et à provoquer leur exode massif. ».
Tant pis si ces 38 Européens-là ont été « très probablement » massacrés par les soldats de Mobutu, écrira l’historien belge David van Reybrouck (sur la foi d’un témoignage du pilote d’hélicoptère Pierre Yambuya) car le général est prêt à tout « pour avoir une armée occidentale à ses côtés ».
L’Élysée craint un « massacre des Européens » ; 2 500 « Blancs », dont 1 700 Belges, sont sur place, précise un télégramme du Quai d'Orsay, le siège du ministère français des Affaires étrangères à Paris. Le président Valéry Giscard d’Estaing (VGE) demande au chef d’état-major des armées de préparer une intervention urgente. Le 19 mai, un premier groupe d’environ 400 parachutistes sautera donc sur l’ancien aéroclub de Kolwezi vers 15h30 ; un second, moins important, vers 17h. Des rebelles s'enfuient aussitôt, d'autres pas.
Lorsque VGE prend la parole à la télévision pour expliquer pourquoi des légionnaires ont sauté sur Kolwezi, il insiste sur l’aspect humanitaire, qu’il qualifie de « problème de sécurité », sans jamais mentionner les six militaires français dont on est sans nouvelles.
On redoute qu’ils aient été faits prisonniers. A Kolwezi, les tout premiers légionnaires sur place se précipitent à l’hôtel Impala, où les six « assistants militaires techniques » ont été vus pour la dernière fois. C’est peine perdue.
Ils ont été faits prisonniers, croit savoir l’ambassade des Etats-Unis à Kinshasa, en précisant cependant qu’elle entretient des doutes sur la crédibilité de la source. Les diplomates en poste au Zaïre craignent que les insurgés ne les amènent avec eux en Angola ; le spectre d’une prise d’otages est dans tous les esprits.
Une autorisation « d’abattre les otages »
Deux semaines après que les six coopérants ont été portés disparus, une source militaire (dont la nationalité n’est pas précisée) fait suivre au Quai d’Orsay le contenu d’une « interception radio » : un chef rebelle en route pour l’Angola demande au général Mbumba, lors d’une halte en Zambie, « l’autorisation d’abattre les otages qui ont été capturés au Zaïre en prétextant qu’ils alourdissent la colonne et gênent ses mouvements ».
Une autre source assure qu’un second groupe d’otages européens a déjà gagné l’Angola. « Il n’est pas impossible que certains des coopérants militaires soient parmi eux », écrit l’ambassadeur Ross.
Les documents diplomatiques communiqués par le Quai d’Orsay font penser que l’ambassade a cherché à les retrouver pendant plusieurs mois. Un médecin légiste viendra exprès de l’Institut médico-légal de Paris pour tenter d’identifier des corps qui ont été, dans un premier temps, enterrés dans un charnier, puis transférés dans le cimetière.
Leurs dépouilles seront exhumées, en septembre 1978, en présence d’un prêtre catholique et du Dr Alain Haertig. Mais ce dernier, qui allait devenir directeur du département de médecine légale de l’université Paris VI, ne réussira pas à identifier des corps, explique-t-il à RFI, « déjà décomposés ».
A Paris, la presse évoquera brièvement le sort des six coopérants, mais finira par s’en désintéresser. Différentes hypothèses seront avancées par des écrivains.
Deux ans plus tard, en 1980, un écrivain et ancien para, Jean Pouget, affirmera dans Le Figaro que l’un des six, Christian Césario, un mécanien d’hélicoptère, a réussi à sortir de l’hôtel, se procurer une arme et « se battre seul contre cent ».
En 2012, dans Histoire politique des services secrets français, Roger Faligot, Jean Guisnel et Rémi Kauffer écriront que les six coopérants, présentés comme des « instructeurs parachutistes », ont été exécutés après avoir été condamnés à mort par un « tribunal populaire » présidé par un Allemand de l’Est.
En 2016, un chercheur belge, Erik Kennes, co-auteur de The Katangese Gendarmes and War in Central Africa, arrivera à une tout autre conclusion après avoir interrogé, à Kinshasa, un officier du FNLC, aujourd’hui décédé. Ce dernier dira avoir fait fusiller trois d’entre eux à leur hôtel dès qu’il les a aperçus, sans expliquer ce qui était arrivé aux trois autres.
D’après la retranscription de l’interview, dont RFI a pris connaissance, ce rebelle affirme avoir surpris les Français en train d’observer les avions brûler sur l’aéroport. « On les a abattus, dit-il. C'est avec leur jeep que j'ai circulé en ville. »
En juillet 1979, ces six militaires ont été décorés. Le lieutenant d’active Jacques Laissac et l’adjudant-chef Pierre van Nuvel deviendront Chevaliers de la Légion d’honneur ; les adjudants Jacques Gomilla, Christian Césario, Jacques Bireau et Bernard Laurent recevront la Médaille militaire. Les pièces versées à leurs dossiers, communicables en 2029, apporteront peut-être un nouvel éclairage sur leurs disparitions.
Quinze autres Français sont « officiellement » ou « probablement » décédés au Shaba, selon un document d’archives daté du 22 juin 1978. Cinq légionnaires y perdront la vie entre le 19 et 27 mai dans de rudes combats avec les rebelles.
Le bilan des victimes civiles zaïroises, tuées par suite des échanges de tirs entre les paras et les rebelles aux abois, allait se révéler beaucoup plus lourd.
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