Tout accaparés qu’ils étaient par le couple glamour Ivanka Trump - Jared Kushner, conseillers et émissaires du président américain à l’inauguration de l’ambassade des Etats-Unis à Jérusalem, les photographes auront probablement manqué la présence parmi les dignitaires d’une dizaine de représentants de pays africains. Alors que la cérémonie battait son plein, des milliers de manifestants palestiniens étaient au même moment pris sous le feu de militaires israéliens protégeant à balles réelles la frontière entre l’Etat hébreu et la bande de Gaza à une centaine de kilomètres de là. Des violences qui ont provoqué une vague de condamnations internationales.
Mais en Afrique ces condamnations ont été plutôt rares. L’Afrique du Sud a rappelé son ambassadeur. Le président de la commission de l’Union africaine s’est fendu d’un communiqué dans lequel il condamnait « l'usage disproportionné de la force par l’armée israélienne ». Moussa Faki Mahamat, qui soulignait « que la relocalisation de l'Ambassade des États-Unis à Jérusalem ne peut qu'aggraver les tensions dans la région ». De son côté, le Sénégal a appelé « la Umma islamique et les Nations unies à se mobiliser pour mettre fin à cette tragédie humaine ». Et Macky Sall de réaffirmer son « ferme attachement aux droits légitimes de nos frères et sœurs de Palestine à un Etat indépendant et souverain avec Al Quds Al Sharif [Jérsualem NDLR] pour capitale ». Le président sénégalais s’exprimait lors d’une réunion du Comité des affaires culturelles de l’Organisation de la coopération islamique (OCI) à Dakar.
Le Sénégal et Israël ont des rapports en dent-de-scie. Les relations diplomatiques entre les deux pays avaient été rompues en décembre 2016 quand Dakar avait obtenu du Conseil de sécurité des Nations unies le vote d’une résolution interdisant la colonisation en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Le réchauffement s’était opéré six mois plus tard à l’occasion du sommet de la CEDEAO qui devait consacrer le retour du Maroc dans l’organisation ouest-africaine. Mais le roi avait annulé sa venue en raison de la présence au sommet du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu.
« Les Africains observent »
Lundi, Mohammed VI, en sa qualité de président du comité Al Quds de l’OCI, chargé notamment de suivre l’évolution de la situation de Jérusalem, s’est d’ailleurs exprimé sur le transfert de l’ambassade américaine, réitérant son « rejet de cet acte unilatéral, contraire à la volonté de la communauté internationale ». Mais rien sur les violences à Gaza.
La Ligue arabe qui compte parmi ses membres une dizaine d’Etats africains se réunit ce jeudi 17 mai au niveau ministériel après avoir déjà appelé la Cour Pénale internationale (CPI) à ouvrir une enquête. Quant à l’OCI, qui compte en son sein 25 pays africains, elle convoque une réunion extraordinaire vendredi. Mais en attendant, les capitales africaines se sont illustrées par leur silence. « Pour l’instant les Africains observent et estiment que peut-être, ce n’est pas à eux de faire le premier pas. Ils attendent que la Ligue arabe se manifeste avant d’emboîter le pas », commente Alhadji Bouba Nouhou, enseignant à l’université de Bordeaux-Montaigne. Alors pourquoi ce malaise sur une question palestinienne autour de laquelle l’Afrique a longtemps fait bloc ? « C’est une faiblesse de notre diplomatie multilatérale. Quand il s’agissait du régime d’apartheid sud-africain, de la Namibie et d’autres questions, l’Afrique était presque unanime. Aujourd’hui ça s’est bien effiloché à cause des pressions des Etats-Unis et d’Israël », estime le diplomate sénégalais Falilou Kane, ancien ministre et ancien président du Comité des droits des Palestiniens à l’ONU. Quand les Etats-Unis vous disent "Si vous votez contre moi je vous coupe les vivres", il y a beaucoup de pays qui, au maximum, vont s’abstenir ». Le désintérêt de l’administration Trump pour l’Afrique coïncide avec un intérêt croissant des Israéliens pour le continent. « Depuis l’arrivée de Donald Trump au pouvoir, on voit bien que la politique israélienne semble se coordonner avec la politique américaine, et pour la majorité des Etats africains -- notamment confrontés à des problèmes sécuritaires l’accès à la porte des Américains passe par le biais israélien », selon Alhadj Bouba Nouhou.
Diplomatie israélienne active
S’il ne date pas d’hier, l’intérêt israélien pour l’Afrique a connu un coup d’accélérateur ces deux dernières années. Depuis une tournée de Benyamin Netanyahu en Afrique de l’Est en 2016, Israël déploie des trésors de séduction à l’attention de nombreux pays africains. Même si l’an dernier la tentative d’un sommet Afrique-Israël à Lomé a échoué sous la pression de plusieurs Etats, comme le Maroc, il semble que lentement mais sûrement Benyamin Netanyahu parvienne à avancer ses pions sur un continent dont une vingtaine de pays reconnaissent la Palestine comme un Etat et accueillent une ambassade. Une offensive diplomatique qui se traduit dans les faits par une coopération parfois militaire, mais souvent économique. L’expertise des compagnies israéliennes dans des secteurs comme la sécurité informatique, la surveillance, la protection des frontières intéressent les capitales. « Israël a aussi décuplé son aide au développement ces 15 dernières années, par l’intermédiaire de son département des affaires étrangères, le MASHAV, surtout dans les domaines de l’hydraulique et de l’agriculture, et ça, c’est un outil considérable du soft power israélien en Afrique », explique Elisabeth Marteu, chercheuse à l’Institut international d’études stratégiques.
Israël est entré en Afrique par l’est. Au-delà de ses relations historiques avec l’Ethiopie et le Kenya, l’Etat hébreu discute avec le Rwanda et l’Ouganda de la question des migrants africains qu’il souhaiterait y envoyer. Le Rwanda où il compte une ambassade depuis quelques mois. Israël sourit même à un Soudan qui a rompu avec Téhéran il y a 2 ans. Khartoum a longtemps été accusé par l’Etat hébreu faire transiter par son territoire des armes en provenance d’Iran à destination de la bande de Gaza. L’aviation israélienne aurait même mené à plusieurs reprises des frappes contre des convois au Soudan. Pourtant un représentant de Khartoum était présent à l’inauguration de l’ambassade américaine lundi.
« Même le Maroc se rapproche petit à petit d’Israël. Les deux pays pourraient rétablir leurs relations diplomatiques, commente Alhadji Bouba Nouhou. On le voit aussi avec d’autres Etats, notamment le Soudan qui entretient aujourd’hui quelques relations informelles avec Israël. Petit à petit, les pays africains qui étaient réticents commencent à se rapprocher diplomatiquement d’Israël. Et l’élection de Donald Trump accentue ce rapprochement. »
« Israël a des amis en Afrique, mais combien sont-ils ? », tempère Falilou Kane. La réalité c’est que ces pays ont des intérêts avec Israël. Il ne s’agit pas de dire « nous n’avons pas de relations », ou « nous avons des relations avec Israël ». Depuis Camp David, l’Egypte a des relations avec Israël, ça ne veut pas dire que l’Egypte accepte tout ce qu’Israël fait. »
Contexte international
Les vents sont favorables au gouvernement israélien. La remise au banc des nations de l’Iran par les États unis devrait avoir des conséquences positives pour les positions israéliennes. L’Arabie saoudite et les pays du Golfe très actifs au sein de la Ligue arabe ou de l’OCI pourraient émousser leurs critiques pour concentrer le feu sur l’ennemi commun iranien. Et les Africains s’aligneraient. D’autant qu’en Afrique la cause palestinienne a perdu de sa superbe. Paradoxalement, si dans les années 60 la question palestinienne était perçue comme un mouvement de libération nationale, la reconnaissance par de nombreux pays africains de la Palestine comme un Etat a peu à peu fissuré le bloc pro-palestinien constitué par un certain nombre de pays africains. La mort de Kadhafi longtemps défenseur de la cause a probablement joué aussi. « Il y a également le fait que les Etats arabes ne sont plus aptes à proposer quelque chose qui puisse ramener les Etats africains vers la cause palestinienne », ajoute Alhadji Bouba Nouhou. En somme, le désintérêt arabe pour la Palestine s’étend à l’Afrique.
En plus des astres qui s’alignent pour Israël, son travail diplomatique semble porter ses fruits. « L’entreprise de charme de la diplomatie israélienne marche de mieux en mieux, affirme Elisabeth Marteu. Cela étant, quand il faudra voter à l’assemblée générale des Nations unies, à l’Unesco, dans ce genre d’instance, est-ce-que les Etats africains vont véritablement changer leur positionnement ? A voir. »
Mais en Afrique ces condamnations ont été plutôt rares. L’Afrique du Sud a rappelé son ambassadeur. Le président de la commission de l’Union africaine s’est fendu d’un communiqué dans lequel il condamnait « l'usage disproportionné de la force par l’armée israélienne ». Moussa Faki Mahamat, qui soulignait « que la relocalisation de l'Ambassade des États-Unis à Jérusalem ne peut qu'aggraver les tensions dans la région ». De son côté, le Sénégal a appelé « la Umma islamique et les Nations unies à se mobiliser pour mettre fin à cette tragédie humaine ». Et Macky Sall de réaffirmer son « ferme attachement aux droits légitimes de nos frères et sœurs de Palestine à un Etat indépendant et souverain avec Al Quds Al Sharif [Jérsualem NDLR] pour capitale ». Le président sénégalais s’exprimait lors d’une réunion du Comité des affaires culturelles de l’Organisation de la coopération islamique (OCI) à Dakar.
Le Sénégal et Israël ont des rapports en dent-de-scie. Les relations diplomatiques entre les deux pays avaient été rompues en décembre 2016 quand Dakar avait obtenu du Conseil de sécurité des Nations unies le vote d’une résolution interdisant la colonisation en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Le réchauffement s’était opéré six mois plus tard à l’occasion du sommet de la CEDEAO qui devait consacrer le retour du Maroc dans l’organisation ouest-africaine. Mais le roi avait annulé sa venue en raison de la présence au sommet du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu.
« Les Africains observent »
Lundi, Mohammed VI, en sa qualité de président du comité Al Quds de l’OCI, chargé notamment de suivre l’évolution de la situation de Jérusalem, s’est d’ailleurs exprimé sur le transfert de l’ambassade américaine, réitérant son « rejet de cet acte unilatéral, contraire à la volonté de la communauté internationale ». Mais rien sur les violences à Gaza.
La Ligue arabe qui compte parmi ses membres une dizaine d’Etats africains se réunit ce jeudi 17 mai au niveau ministériel après avoir déjà appelé la Cour Pénale internationale (CPI) à ouvrir une enquête. Quant à l’OCI, qui compte en son sein 25 pays africains, elle convoque une réunion extraordinaire vendredi. Mais en attendant, les capitales africaines se sont illustrées par leur silence. « Pour l’instant les Africains observent et estiment que peut-être, ce n’est pas à eux de faire le premier pas. Ils attendent que la Ligue arabe se manifeste avant d’emboîter le pas », commente Alhadji Bouba Nouhou, enseignant à l’université de Bordeaux-Montaigne. Alors pourquoi ce malaise sur une question palestinienne autour de laquelle l’Afrique a longtemps fait bloc ? « C’est une faiblesse de notre diplomatie multilatérale. Quand il s’agissait du régime d’apartheid sud-africain, de la Namibie et d’autres questions, l’Afrique était presque unanime. Aujourd’hui ça s’est bien effiloché à cause des pressions des Etats-Unis et d’Israël », estime le diplomate sénégalais Falilou Kane, ancien ministre et ancien président du Comité des droits des Palestiniens à l’ONU. Quand les Etats-Unis vous disent "Si vous votez contre moi je vous coupe les vivres", il y a beaucoup de pays qui, au maximum, vont s’abstenir ». Le désintérêt de l’administration Trump pour l’Afrique coïncide avec un intérêt croissant des Israéliens pour le continent. « Depuis l’arrivée de Donald Trump au pouvoir, on voit bien que la politique israélienne semble se coordonner avec la politique américaine, et pour la majorité des Etats africains -- notamment confrontés à des problèmes sécuritaires l’accès à la porte des Américains passe par le biais israélien », selon Alhadj Bouba Nouhou.
Diplomatie israélienne active
S’il ne date pas d’hier, l’intérêt israélien pour l’Afrique a connu un coup d’accélérateur ces deux dernières années. Depuis une tournée de Benyamin Netanyahu en Afrique de l’Est en 2016, Israël déploie des trésors de séduction à l’attention de nombreux pays africains. Même si l’an dernier la tentative d’un sommet Afrique-Israël à Lomé a échoué sous la pression de plusieurs Etats, comme le Maroc, il semble que lentement mais sûrement Benyamin Netanyahu parvienne à avancer ses pions sur un continent dont une vingtaine de pays reconnaissent la Palestine comme un Etat et accueillent une ambassade. Une offensive diplomatique qui se traduit dans les faits par une coopération parfois militaire, mais souvent économique. L’expertise des compagnies israéliennes dans des secteurs comme la sécurité informatique, la surveillance, la protection des frontières intéressent les capitales. « Israël a aussi décuplé son aide au développement ces 15 dernières années, par l’intermédiaire de son département des affaires étrangères, le MASHAV, surtout dans les domaines de l’hydraulique et de l’agriculture, et ça, c’est un outil considérable du soft power israélien en Afrique », explique Elisabeth Marteu, chercheuse à l’Institut international d’études stratégiques.
Israël est entré en Afrique par l’est. Au-delà de ses relations historiques avec l’Ethiopie et le Kenya, l’Etat hébreu discute avec le Rwanda et l’Ouganda de la question des migrants africains qu’il souhaiterait y envoyer. Le Rwanda où il compte une ambassade depuis quelques mois. Israël sourit même à un Soudan qui a rompu avec Téhéran il y a 2 ans. Khartoum a longtemps été accusé par l’Etat hébreu faire transiter par son territoire des armes en provenance d’Iran à destination de la bande de Gaza. L’aviation israélienne aurait même mené à plusieurs reprises des frappes contre des convois au Soudan. Pourtant un représentant de Khartoum était présent à l’inauguration de l’ambassade américaine lundi.
« Même le Maroc se rapproche petit à petit d’Israël. Les deux pays pourraient rétablir leurs relations diplomatiques, commente Alhadji Bouba Nouhou. On le voit aussi avec d’autres Etats, notamment le Soudan qui entretient aujourd’hui quelques relations informelles avec Israël. Petit à petit, les pays africains qui étaient réticents commencent à se rapprocher diplomatiquement d’Israël. Et l’élection de Donald Trump accentue ce rapprochement. »
« Israël a des amis en Afrique, mais combien sont-ils ? », tempère Falilou Kane. La réalité c’est que ces pays ont des intérêts avec Israël. Il ne s’agit pas de dire « nous n’avons pas de relations », ou « nous avons des relations avec Israël ». Depuis Camp David, l’Egypte a des relations avec Israël, ça ne veut pas dire que l’Egypte accepte tout ce qu’Israël fait. »
Contexte international
Les vents sont favorables au gouvernement israélien. La remise au banc des nations de l’Iran par les États unis devrait avoir des conséquences positives pour les positions israéliennes. L’Arabie saoudite et les pays du Golfe très actifs au sein de la Ligue arabe ou de l’OCI pourraient émousser leurs critiques pour concentrer le feu sur l’ennemi commun iranien. Et les Africains s’aligneraient. D’autant qu’en Afrique la cause palestinienne a perdu de sa superbe. Paradoxalement, si dans les années 60 la question palestinienne était perçue comme un mouvement de libération nationale, la reconnaissance par de nombreux pays africains de la Palestine comme un Etat a peu à peu fissuré le bloc pro-palestinien constitué par un certain nombre de pays africains. La mort de Kadhafi longtemps défenseur de la cause a probablement joué aussi. « Il y a également le fait que les Etats arabes ne sont plus aptes à proposer quelque chose qui puisse ramener les Etats africains vers la cause palestinienne », ajoute Alhadji Bouba Nouhou. En somme, le désintérêt arabe pour la Palestine s’étend à l’Afrique.
En plus des astres qui s’alignent pour Israël, son travail diplomatique semble porter ses fruits. « L’entreprise de charme de la diplomatie israélienne marche de mieux en mieux, affirme Elisabeth Marteu. Cela étant, quand il faudra voter à l’assemblée générale des Nations unies, à l’Unesco, dans ce genre d’instance, est-ce-que les Etats africains vont véritablement changer leur positionnement ? A voir. »
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