La révolte des jeunes tunisiens a fini de convaincre que si le Maghreb est un désert…démocratique, il comporte aussi des oasis de liberté. Des sources d’eau qu’on croyait taries et qui, au fond, affleuraient à même le sol. Il a juste fallu l’étincelle précieuse d’une vie transformée en torche humaine pour allumer la flamme de la liberté. Une flamme vorace et virale qui a fini d’avoir raison de plus de 23 ans de règne despotique d’un monarque pourtant pas assis que sur son épée.
Car Ben Ali, faut-il le reconnaitre, a aussi été l’acteur de la modernisation de la Tunisie. Avec des indicateurs de performance pour la plupart au vert, un taux de croissance qui avoisine les 5%, un enseignement supérieur en plein boom…Mieux, il suffit d’interroger les différents classements consacrés à la Tunisie, ces dernières années, pour croire qu’on était presque au pays des merveilles. En effet, la Tunisie pouvait se targuer d’être positionnée, en 2007, première en Afrique et 39ème dans le monde dans le classement des pays les plus paisibles. Elle était aussi le 1er pays africain et le 30ème mondial en matière de compétitivité économique.
En dépit de ces bons points délivrés par des instituts de surveillance et de mesure de la Gouvernance économique et sociale, la Tunisie a battu le record du plus rapide chute de régime. Même Gbagbo, en Côte d’Ivoire, président à la fois rejeté par la majorité de ses concitoyens et la quasi-totalité de la communauté internationale, résiste mieux et tient toujours tête aux pressions de toutes sortes.
En quelques heures, le régime de Ben Ali, lui, malgré ses avancées économiques et sociales, son système sécuritaire ultrasophistiqué, n’a pu faire face à la vague de contestations sur fond de sentiment d’humiliation des jeunes issus de milieux défavorisés.
Au Sénégal, le chef de l’Etat se vantait, il y a peu, d’un bilan économique plutôt reluisant. Un bilan clinquant qui cache mal les disparités profondes notées au quotidien et qui font le lit de frustrations croissantes chez des pans entiers de la société. Mais le paradoxe, au Sénégal, c’est qu’on ne manifeste jamais pour demander des emplois. On manifeste toujours lorsqu’on en perd. Au Sénégal, on ne sort, le plus souvent, dans la rue, que pour réclamer le retour de l’électricité. On sort rarement dans la rue pour exiger la lutte contre la corruption, la création d’emplois, la baisse des prix des denrées de première nécessité.
Pendant que les sénégalais exigeaient le retour de l’électricité, qui pour mener à bien leur travaux, qui pour pouvoir suivre tranquillement à la télévision leur télénovela préférée, le Président de la république lui, prenait un soin particulier à s’occuper de l’avenir de sa formation politique. A coups de remaniements millimétrés, d’audiences bien préparés et de déclarations publiques bien cadrées, le chef de l’Etat tente sans cesse d’élargir le champ de ses nouveaux souteneurs. Demba Dia le chanteur politicien, Alassane Daly Ndiaye l’ancien ministre socialiste et Abdoulaye Makhar Diop, l’ancien maire socialiste de Dakar-Plateau viennent tous de franchir un pas de plus dans leur rapprochement avec le chef de l’Etat.
Pendant ce temps, AminataTall et Idrissa Seck semblent être sur la ligne de non-retour. A telle enseigne que le système politique Wade consiste à additionner, sur le plan politique, des plus et des moins. Ce qui pourrait supposer qu’il risque, tranquillement, d’aller à sa perte. Ce qui peut laisser aussi la place au…surplace, tant il manque d’alternatives crédibles de l’autre côté de l’ « autre position ».
Mais le Sénégal n’est pas la Tunisie. Et aucune analyse qui ferait la comparaison, ne pourrait, à notre sens, se prévaloir de suffisamment de crédibilité. Car en dépit de ses avancées économiques, la Tunisie n’a jamais bougé sur le plan démocratique. Le pluralisme démocratique n’y était qu’apparence. La liberté de presse un vain mot. Le droit à la l’expression plurielle, une virtualité aussi épaisse qu’un brouillard en saison sèche.
Le Sénégal, au contraire, bruit de partis politique légalisés, bouillonne de débats médiatiques ou en face-face. Chaque jour que Dieu fait, le citoyen lambda a le loisir de déverser sa bile, de crier son ras-le bol et d’extérioriser sa rancœur sur les dirigeants boucs-émissaires. Cela suffit, sans doute, à donner aux citoyens le sentiment qu’ils ne sont guères passifs devant tant de misères qu’on leur fait. Le prix d’une bonne conscience…au rabais ! Possible.
Le Sénégalais, non plus, n’est pas le Tunisien. Du moins, pas du même bois que ce jeune qui a osé en arriver à s’immoler au feu. Au Sénégal, les misères collectives sont exorcisées, au mieux, par des séances de transes et de démences. Du même genre que celles qui touchent, en particulier, les jeunes filles de certains lycées et collèges.
Au Sénégal, enfin, contrairement à la Tunisie, des partis politiques d’opposition existent. Des partis aussi bavards dans leur intention et action consistant à vilipender le régime en place, qu’impuissants et frileux dans leur capacité à porter et à supporter une mobilisation politique et populaire soutenue et « virile ».
En Tunisie, on a pu parler de la révolution du Jasmin. Au Sénégal, l’on pourra, tout au plus, faire part de la révolution du Jamais. Car de révolution brusque, frontale et décisive, on ne semble point pouvoir en produire. Cela ne nous ressemble pas. Cela nous dépasse. Cela nous surpasse. On est trop civilisé, trop croyant et trop bon viveur pour ça. Mourir pour que vive la dignité à travers autrui semble trop philosophique et peu…concret, pour nous.
Au mieux on invoquera Dieu. Lui qui, Seul, a le pouvoir divin de mettre fin à nos souffrances. On acceptera qu’Il nous donnera toujours de quoi acheter du riz quel qu’en soit le prix. On comprendra qu’un tel soit mieux placé que nous même s’il ne le mérite pas. Ce sera sa chance.
Au Sénégal, on ne dénie à Dieu qu’une seule prérogative : celle de nous fournir l’électricité pour suivre les soirées canal foot ou regarder des télénovelas. Ces deux occupations sont sans doute les seuls calmants suffisamment forts pour nous faire oublier la hideur de nos poches vides et la béance de nos ventres dans le désarroi !
Une chronique de Mamadou Thiam, Weekend Magazine n° 145
mamadouthiam@hotmail.com
Car Ben Ali, faut-il le reconnaitre, a aussi été l’acteur de la modernisation de la Tunisie. Avec des indicateurs de performance pour la plupart au vert, un taux de croissance qui avoisine les 5%, un enseignement supérieur en plein boom…Mieux, il suffit d’interroger les différents classements consacrés à la Tunisie, ces dernières années, pour croire qu’on était presque au pays des merveilles. En effet, la Tunisie pouvait se targuer d’être positionnée, en 2007, première en Afrique et 39ème dans le monde dans le classement des pays les plus paisibles. Elle était aussi le 1er pays africain et le 30ème mondial en matière de compétitivité économique.
En dépit de ces bons points délivrés par des instituts de surveillance et de mesure de la Gouvernance économique et sociale, la Tunisie a battu le record du plus rapide chute de régime. Même Gbagbo, en Côte d’Ivoire, président à la fois rejeté par la majorité de ses concitoyens et la quasi-totalité de la communauté internationale, résiste mieux et tient toujours tête aux pressions de toutes sortes.
En quelques heures, le régime de Ben Ali, lui, malgré ses avancées économiques et sociales, son système sécuritaire ultrasophistiqué, n’a pu faire face à la vague de contestations sur fond de sentiment d’humiliation des jeunes issus de milieux défavorisés.
Au Sénégal, le chef de l’Etat se vantait, il y a peu, d’un bilan économique plutôt reluisant. Un bilan clinquant qui cache mal les disparités profondes notées au quotidien et qui font le lit de frustrations croissantes chez des pans entiers de la société. Mais le paradoxe, au Sénégal, c’est qu’on ne manifeste jamais pour demander des emplois. On manifeste toujours lorsqu’on en perd. Au Sénégal, on ne sort, le plus souvent, dans la rue, que pour réclamer le retour de l’électricité. On sort rarement dans la rue pour exiger la lutte contre la corruption, la création d’emplois, la baisse des prix des denrées de première nécessité.
Pendant que les sénégalais exigeaient le retour de l’électricité, qui pour mener à bien leur travaux, qui pour pouvoir suivre tranquillement à la télévision leur télénovela préférée, le Président de la république lui, prenait un soin particulier à s’occuper de l’avenir de sa formation politique. A coups de remaniements millimétrés, d’audiences bien préparés et de déclarations publiques bien cadrées, le chef de l’Etat tente sans cesse d’élargir le champ de ses nouveaux souteneurs. Demba Dia le chanteur politicien, Alassane Daly Ndiaye l’ancien ministre socialiste et Abdoulaye Makhar Diop, l’ancien maire socialiste de Dakar-Plateau viennent tous de franchir un pas de plus dans leur rapprochement avec le chef de l’Etat.
Pendant ce temps, AminataTall et Idrissa Seck semblent être sur la ligne de non-retour. A telle enseigne que le système politique Wade consiste à additionner, sur le plan politique, des plus et des moins. Ce qui pourrait supposer qu’il risque, tranquillement, d’aller à sa perte. Ce qui peut laisser aussi la place au…surplace, tant il manque d’alternatives crédibles de l’autre côté de l’ « autre position ».
Mais le Sénégal n’est pas la Tunisie. Et aucune analyse qui ferait la comparaison, ne pourrait, à notre sens, se prévaloir de suffisamment de crédibilité. Car en dépit de ses avancées économiques, la Tunisie n’a jamais bougé sur le plan démocratique. Le pluralisme démocratique n’y était qu’apparence. La liberté de presse un vain mot. Le droit à la l’expression plurielle, une virtualité aussi épaisse qu’un brouillard en saison sèche.
Le Sénégal, au contraire, bruit de partis politique légalisés, bouillonne de débats médiatiques ou en face-face. Chaque jour que Dieu fait, le citoyen lambda a le loisir de déverser sa bile, de crier son ras-le bol et d’extérioriser sa rancœur sur les dirigeants boucs-émissaires. Cela suffit, sans doute, à donner aux citoyens le sentiment qu’ils ne sont guères passifs devant tant de misères qu’on leur fait. Le prix d’une bonne conscience…au rabais ! Possible.
Le Sénégalais, non plus, n’est pas le Tunisien. Du moins, pas du même bois que ce jeune qui a osé en arriver à s’immoler au feu. Au Sénégal, les misères collectives sont exorcisées, au mieux, par des séances de transes et de démences. Du même genre que celles qui touchent, en particulier, les jeunes filles de certains lycées et collèges.
Au Sénégal, enfin, contrairement à la Tunisie, des partis politiques d’opposition existent. Des partis aussi bavards dans leur intention et action consistant à vilipender le régime en place, qu’impuissants et frileux dans leur capacité à porter et à supporter une mobilisation politique et populaire soutenue et « virile ».
En Tunisie, on a pu parler de la révolution du Jasmin. Au Sénégal, l’on pourra, tout au plus, faire part de la révolution du Jamais. Car de révolution brusque, frontale et décisive, on ne semble point pouvoir en produire. Cela ne nous ressemble pas. Cela nous dépasse. Cela nous surpasse. On est trop civilisé, trop croyant et trop bon viveur pour ça. Mourir pour que vive la dignité à travers autrui semble trop philosophique et peu…concret, pour nous.
Au mieux on invoquera Dieu. Lui qui, Seul, a le pouvoir divin de mettre fin à nos souffrances. On acceptera qu’Il nous donnera toujours de quoi acheter du riz quel qu’en soit le prix. On comprendra qu’un tel soit mieux placé que nous même s’il ne le mérite pas. Ce sera sa chance.
Au Sénégal, on ne dénie à Dieu qu’une seule prérogative : celle de nous fournir l’électricité pour suivre les soirées canal foot ou regarder des télénovelas. Ces deux occupations sont sans doute les seuls calmants suffisamment forts pour nous faire oublier la hideur de nos poches vides et la béance de nos ventres dans le désarroi !
Une chronique de Mamadou Thiam, Weekend Magazine n° 145
mamadouthiam@hotmail.com
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