Un choix d’une impressionnante clarté, au premier tour, encourageant ainsi un sujet difficile, voire insoutenable, traité par un auteur aussi complexe que déterminé et persévérant. Avec le prix Goncourt pour son roman Houris (Gallimard), l’écrivain franco-algérien Kamel Daoud a décroché la plus haute distinction de la littérature française, mais il entre surtout encore un peu plus dans l’Histoire et la (sub-)conscience collective de l’Algérie.
Visiblement très ému après l’annonce du prix Goncourt, Kamel Daoud a publié sur X une ancienne photo de ses parents - le père en uniforme à côté de sa mère qui esquisse un sourire -, accompagnée des mots : « C’est votre rêve, payé par vos années de vie. À mon père décédé. À ma mère encore vivante, mais qui ne se souvient plus de rien. Aucun mot n’existe pour dire le vrai merci. »
Onze ans après avoir été finaliste avec Meursault contre-enquête (et qui avait connu une rupture de stock en Algérie lors de sa sortie en 2013), Kamel Daoud devient cette année le premier Algérien remportant le Graal de la littérature française.
Le jury du prix Goncourt a salué la force de l’écrivain à donner « voix aux souffrances liées à une période noire de l'Algérie, celle des femmes en particulier. Ce roman montre combien la littérature, dans sa haute liberté d'auscultation du réel, sa densité émotionnelle, trace, aux côtés du récit historique d'un peuple, un autre chemin de mémoire ».
Né en 1970 à Mostaganam, en Algérie, il est l’aîné de six enfants, et le seul à faire des études. Son père est gendarme, mais Kamel Daoud fait des études de littérature après un bac en mathématiques pour finalement devenir journaliste. Élevé dans la langue arabe, Kamel Daoud a choisi le français pour écrire sa pensée. Longtemps rédacteur en chef du Quotidien d’Oran, il y tient la chronique quotidienne la plus lue d’Algérie et n’hésite pas à publier ses articles aussi sur Facebook ou dans le journal électronique Algérie-focus.
En 2000, il obtient la nationalité française. Depuis 2023, il s’est exilé en France. En 2008, en Algérie, et en 2011, en France, il publie un recueil de nouvelles, Le Minotaure 504, prélude de son engagement littéraire. Après avoir traversé la décennie noire en tant que journaliste, il conquiert de plus en plus de reconnaissance en France, comme chroniqueur et observateur de la politique en France et en Algérie.
Dans l’histoire du livre, Aube, la jeune fille, restera marquée à vie par cette nuit du 31 décembre 1999, quand des islamistes entraient à Had Chekala et massacraient les habitants de ce petit village non loin d’Alger. Un choc perpétué par son mutisme et une cicatrice effroyable, en forme de sourire, autour du cou, trace tragique de cette tentative d’égorgement quand Aube avait cinq ans.
Selon l’article 46, « quiconque qui, par ses déclarations, écrits ou tout autre acte, utilise ou instrumentalise les blessures de la tragédie nationale, pour porter atteinte aux institutions de la République algérienne démocratique et populaire » est menacé de prison. En revanche, l’application de la Charte a eu comme conséquence la libération de plus de 1 500 islamistes condamnés pour terrorisme, dont l'un des membres fondateurs du « Groupe islamique armé » (GIA).
Quelques années avant, une loi sur la « Concorde civile » avait décidé l’abandon définitif des poursuites judiciaires contre les islamistes qui accepteraient de déposer les armes, alors jugés non coupables de crimes de sang, de viols et d’attentats à l’explosif dans les lieux publics.
Aube - « enfant » de cette « décennie noire » de l’Algérie dont plus personne ne peut parler -, est condamnée à grandir et à vivre dans ce cadre tragique et corseté. Quant à Kamel Daoud, ancien journaliste qui avait écrit sur les innombrables massacres et rapporté le nombre de morts jusqu’à 200 000, son écriture porte aussi en elle la douleur, le deuil et les larmes de cette époque qui ne passe pas, ni dans les mémoires ni dans le présent. Dans le livre, c’est à Aube de nous transmettre cette tragédie sans nom, à travers l’enfant dont elle est enceinte et qui représente bel et bien la seule personne avec qui elle peut nouer un dialogue et se confier.
Dans la foi musulmane, « Houris » désigne les jeunes filles promises au paradis. Daoud a choisi de situer son histoire d’abord à Oran, la ville où il a passé les « années noires », puis il nous emmène dans le désert algérien pour partager les sentiments d’Aube quand elle retourne au village.
Le récit est traversé par les mensonges et tromperies du discours officiel : de la « réconciliation » en trompe-l'œil à l’oubli imposé des années noires, en passant par le mépris d’une religion instrumentalisée pour la femme. C’est donc de la guerre civile et de la guerre contre les femmes que Kamel Daoud témoigne dans Houris.
« C’est votre rêve »
Lors de sa publication en août, son roman avait déclenché une vague d’émotions, de considérations et de jugements sur les deux rives de la Méditerranée. Pour les Algériens, qu'ils se trouvent dans leur propre pays ou en exil, chaque mot pèse quand il parle du passé. Surtout quand un auteur si rigoureux et révolté par le silence tient la plume. Le livre a été banni en Algérie et même sa maison d’édition, Gallimard, a été écartée cette année du Salon du livre d’Alger.Visiblement très ému après l’annonce du prix Goncourt, Kamel Daoud a publié sur X une ancienne photo de ses parents - le père en uniforme à côté de sa mère qui esquisse un sourire -, accompagnée des mots : « C’est votre rêve, payé par vos années de vie. À mon père décédé. À ma mère encore vivante, mais qui ne se souvient plus de rien. Aucun mot n’existe pour dire le vrai merci. »
Onze ans après avoir été finaliste avec Meursault contre-enquête (et qui avait connu une rupture de stock en Algérie lors de sa sortie en 2013), Kamel Daoud devient cette année le premier Algérien remportant le Graal de la littérature française.
Kamel Daoud, fils d'un gendarme
En réaction à l’annonce, Daoud a affirmé que son livre pouvait naître, « parce que je suis venu en France. Parce que c'est un pays qui me donne la liberté d'écrire (...) , c'est un pays d'accueil pour les écrivains. (…) On a toujours besoin de trois choses pour écrire. Une table, une chaise et un pays. J'ai les trois ».Le jury du prix Goncourt a salué la force de l’écrivain à donner « voix aux souffrances liées à une période noire de l'Algérie, celle des femmes en particulier. Ce roman montre combien la littérature, dans sa haute liberté d'auscultation du réel, sa densité émotionnelle, trace, aux côtés du récit historique d'un peuple, un autre chemin de mémoire ».
Né en 1970 à Mostaganam, en Algérie, il est l’aîné de six enfants, et le seul à faire des études. Son père est gendarme, mais Kamel Daoud fait des études de littérature après un bac en mathématiques pour finalement devenir journaliste. Élevé dans la langue arabe, Kamel Daoud a choisi le français pour écrire sa pensée. Longtemps rédacteur en chef du Quotidien d’Oran, il y tient la chronique quotidienne la plus lue d’Algérie et n’hésite pas à publier ses articles aussi sur Facebook ou dans le journal électronique Algérie-focus.
En 2000, il obtient la nationalité française. Depuis 2023, il s’est exilé en France. En 2008, en Algérie, et en 2011, en France, il publie un recueil de nouvelles, Le Minotaure 504, prélude de son engagement littéraire. Après avoir traversé la décennie noire en tant que journaliste, il conquiert de plus en plus de reconnaissance en France, comme chroniqueur et observateur de la politique en France et en Algérie.
Aube, le traumatisme des victimes de la guerre civile
Au cœur de Houris se trouve Aube, une jeune coiffeuse algérienne, seule survivante d’une famille massacrée, incarnant la chape de plomb concernant les victimes d’une guerre civile qui ne dit toujours pas son nom. À travers elle, Kamel Daoud exprime ce sentiment si puissant et étrange d’être en permanence empêché de se sentir libre. On n’est pas loin de la signification originale de l’expression « chape de plomb », car, au Moyen-Age, il s’agissait d’un instrument de torture sous forme d’un manteau de plomb que l’on enfilait à un prisonnier pour le faire souffrir.Dans l’histoire du livre, Aube, la jeune fille, restera marquée à vie par cette nuit du 31 décembre 1999, quand des islamistes entraient à Had Chekala et massacraient les habitants de ce petit village non loin d’Alger. Un choc perpétué par son mutisme et une cicatrice effroyable, en forme de sourire, autour du cou, trace tragique de cette tentative d’égorgement quand Aube avait cinq ans.
L'article 46 de la Charte sur la Paix et la Réconciliation nationale
En tant qu’écrivain exilé en France, Kamel Daoud est aujourd’hui en mesure de braver le fameux article 46 de la Charte sur la Paix et la Réconciliation nationale. Cette charte a été adoptée par référendum en 2005 par le gouvernement algérien, peu après la fin d’une guerre civile algérienne (1992-2002) terriblement meurtrière.Selon l’article 46, « quiconque qui, par ses déclarations, écrits ou tout autre acte, utilise ou instrumentalise les blessures de la tragédie nationale, pour porter atteinte aux institutions de la République algérienne démocratique et populaire » est menacé de prison. En revanche, l’application de la Charte a eu comme conséquence la libération de plus de 1 500 islamistes condamnés pour terrorisme, dont l'un des membres fondateurs du « Groupe islamique armé » (GIA).
Quelques années avant, une loi sur la « Concorde civile » avait décidé l’abandon définitif des poursuites judiciaires contre les islamistes qui accepteraient de déposer les armes, alors jugés non coupables de crimes de sang, de viols et d’attentats à l’explosif dans les lieux publics.
Aube - « enfant » de cette « décennie noire » de l’Algérie dont plus personne ne peut parler -, est condamnée à grandir et à vivre dans ce cadre tragique et corseté. Quant à Kamel Daoud, ancien journaliste qui avait écrit sur les innombrables massacres et rapporté le nombre de morts jusqu’à 200 000, son écriture porte aussi en elle la douleur, le deuil et les larmes de cette époque qui ne passe pas, ni dans les mémoires ni dans le présent. Dans le livre, c’est à Aube de nous transmettre cette tragédie sans nom, à travers l’enfant dont elle est enceinte et qui représente bel et bien la seule personne avec qui elle peut nouer un dialogue et se confier.
Dans la foi musulmane, « Houris » désigne les jeunes filles promises au paradis. Daoud a choisi de situer son histoire d’abord à Oran, la ville où il a passé les « années noires », puis il nous emmène dans le désert algérien pour partager les sentiments d’Aube quand elle retourne au village.
Le récit est traversé par les mensonges et tromperies du discours officiel : de la « réconciliation » en trompe-l'œil à l’oubli imposé des années noires, en passant par le mépris d’une religion instrumentalisée pour la femme. C’est donc de la guerre civile et de la guerre contre les femmes que Kamel Daoud témoigne dans Houris.
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