Connectez-vous S'inscrire
PRESSAFRIK.COM , L'info dans toute sa diversité (Liberté - Professionnalisme - Crédibilité)

Rapport de la Cour des Comptes : vers une politique d’austérité ou opportunité de ruptures systémiques ?



Rapport de la Cour des Comptes : vers une politique d’austérité ou opportunité de ruptures systémiques ?
Le récent Rapport de la Cour des Comptes a mis en lumière des irrégularités financières majeures dans la gestion des fonds publics entre 2019 et 2024. Les principales révélations sont :
- Dettes Non Comptabilisées : Un encours de 2 517,14 milliards de FCFA hors circuit budgétaire ;
- Dette Publique Réelle : 99,67 % du PIB, bien au-dessus des 74 % annoncés. 
- Non reversement d’emprunts au Trésor public : 114,4 milliards de FCFA (Sukuk SOGEPA) ;
- Surfinancements Irréguliers : 481,42 milliards de FCFA utilisés de manière non conforme en 2023. 

Quels enseignements devrions-nous en tirer ?
Les 2 premières conclusions sont certainement consécutives à un système d’information et des outils de reporting, d’analyse et de traçabilité désuets, ainsi qu’un dispositif global de contrôle interne inefficace et défaillant. Elles appellent à une consolidation du système de comptabilité publique en vue de sa modernisation et sa sécurisation pour que de telles manœuvres ne soient plus possibles à l’avenir.
Pour ce qui concerne le non reversement du fonds Sukuk et les surfinancements irréguliers, une démarche de judiciarisation novatrice privilégiant des accords de restitution (en cas de prévarication avérée) devra être mise en œuvre de manière transparente, l’objectif étant de recouvrer ces ressources dans des délais raisonnables, pour financer des projets de développement. L’expérience de la « traque des biens mal acquis » du défunt régime devrait servir de leçon pour la démarche.
En outre, des audits plus réguliers devront être commandités pour prévenir de futures irrégularités.
En réaction au rapport, le Gouvernement a annoncé une série de mesures d’austérité avec une diminution des salaires et une levée des subventions, en particulier sur les produits hydrocarbures ; mesures qui bien entendu, auront pour conséquences immédiates une baisse du pouvoir d’achat des ménages, une inflation incontrôlée et évidemment une contraction de la demande dont les PME seront les premières victimes, et à long terme, des licenciements et faillites dans le secteur privé, un risque de récession  économique et une dépendance accrue aux prêteurs internationaux.
Les secteurs de l’Agriculture, de la Santé, de l’Education et des PME seront particulièrement affectés par la réduction des crédits publics. A cela s’ajoutent des risques de tensions sociales et d’exacerbation des inégalités sociales qui risquent de plonger notre pays dans des lendemains incertains.
Pourtant l’histoire récente des politiques d’austérité souvent imposées aux Etats africains par le FMI et la Banque mondiale (ici le Gouvernement anticipe sur les remèdes classiques de ces institutions) nous enseigne qu’elles n’ont jamais produit les effets escomptés, bien au contraire. Dans les années 90, les Programmes d’Ajustement Structurels (PAS) avaient certes permis de réduire les déficits budgétaires, mais dans le même temps, les coupes sombres dans les services publics se sont traduites par une déstructuration des services de l’Agriculture (démantèlement des services d’encadrement rural), de la santé (privatisation accrue des soins, départs ‘‘volontaires’’) et de l’Education (fermeture des Ecoles Normales et recrutement au rabais d’enseignants sans formation) et une privatisation des services publics de l’eau, de l’électricité et des télécommunications (dépatrimonialisation des bijoux de famille de l’Etat), avec pour conséquences une hausse du chômage et de la pauvreté. Cette situation avait entrainé un bouillonnement syndical, des grèves largement suivies (électricité, éducation, santé) et des émeutes populaires. L’instabilité sociale conduira finalement à la perte inéluctable du pouvoir par les socialistes à l’occasion des élections de 2000. 

Plus proches de nous, les nombreuses manifestations contre la vie chère en 2023, ont montré les limites de ces mesures. De même, au Ghana, en Zambie et à Maurice, les politiques d’austérité  initiées dans la dernière décennie ont toutes échoué à régler durablement les problématiques économiques qu’elles adressaient. 

A quoi bon alors ces politiques d’austérité ?
Bien au contraire, la situation présente doit être perçue par le Gouvernement comme une opportunité historique pour relancer l'économie sénégalaise, notamment à travers des réformes structurelles profondes et novatrices ainsi qu’une gouvernance publique mieux rationalisée pour garantir des résultats durables. C’est certainement le sens qu’il faut donner à l’adresse du Chef de l’Etat sur la question.
Pour y arriver, les principaux axes de rupture systémique dans la gestion publique seront privilégiés : 
Restructuration de la dette : Il s’agit de renégocier les termes de la dette avec les créanciers autant en ce qui concerne son service annuel que sa durée, pour atténuer son impact sur les finances publiques et ainsi augmenter les marges de manœuvres de l’Etat
Renforcement fiscal : Prendre des mesures radicales contre l’évasion fiscale qui représente un potentiel de +3-4% du PIB et élargir l’assiette fiscale ainsi que les dépenses fiscales opaques ;
Rationalisation des Agences : L’agencialisation outrancière de l’administration depuis les années 2000 s’est traduite par une constellation d’agences souvent redondantes et avec des conflits de compétences avec une administration devenue non performante parce que dépourvue des moyens les plus rudimentaires pour l’exercice de sa mission. Par ailleurs, la plupart des agences manquent cruellement de ressources d’investissement  et sont réduites à des sinécures pour récompenser des compagnons politiques. De plus, l’adéquation du profil technique de la plupart des agents est souvent problématique. Une rupture majeure s’impose au Gouvernement, en supprimant la quasi-totalité de ces agences pour restituer leurs compétences et leurs moyens à une administration moribonde dont il est impératif de revaloriser les ressources humaines dont les compétences avérées manquent cruellement de moyens pour remplir leur mission régalienne.

Primes et Indemnités Excessives : Les primes de représentation, les indemnités de transport et les avantages en nature (logements, véhicules) représentent une part importante des dépenses de l’État. Certaines seront réduites et celles non justifiées seront supprimées.
Primes avantages de Corps Privilégiés : Les agents du ministère des finances et d’autres institutions clés bénéficient souvent d’avantages spécifiques, tels que des primes, des commissions et des fonds communs. Ces avantages, bien que parfois justifiés par des responsabilités particulières, peuvent représenter une charge importante pour le budget de l’État. Toutefois, ces primes ne sont pas toujours proportionnelles aux résultats réels et peuvent créer des inégalités avec d’autres fonctionnaires.  Il s’agit ici de réviser le système de primes pour le rendre plus transparent et lié à des objectifs clairs et mesurables et de plafonner ces primes à un pourcentage du salaire de base. 

Commissions sur les Recettes : Certains agents perçoivent des commissions sur les recettes collectées (douanes, impôts). Ces commissions peuvent inciter à la collecte, mais elles peuvent aussi encourager des pratiques abusives comme la surtaxation ou le harcèlement fiscal pour augmenter les commissions. Les commissions individuelles seront supprimées et remplacées par des primes collectives basées sur des objectifs globaux de performance et plafonnées.
Fonds Politiques et Budgets Opaques : Certaines institutions (Présidence de la république, Primature, Assemblée nationale)  disposent de fonds spéciaux ou de budgets opaques qui sont souvent utilisés à des fins politiques ou personnelles plutôt que pour le bien public.  L’ensemble de ces fonds devront être audités, réduits à leur stricte nécessité et intégrés dans le budget général de l’État. Au demeurant, une transparence totale devra être instituée sur les budgets de ces institutions. Il en est de même des dépenses du Ministère des Forces armées et de l’Intérieur qui ne revêtent pas un strict caractère de « Défense nationale » comme les équipements ordinaires, la construction de bâtiments, les mobiliers, etc. qui échappent aux procédures de marchés garantissant leur efficacité et transparence.

Réduction des Dépenses de Prestige : Enfin, certaines dépenses de prestiges comme de nombreuses cérémonies officielles, les inaugurations ou pose de première pierre folkloriques, les cortèges interminables qui pèsent grandement sur le budget de l’Etat seront réduites à leur strict minimum voire proscrites.
Voyages et missions à l’étranger : ce poste de dépenses représente une part non négligeable des dépenses de l’Etat. La pertinence de certaines missions devra être mieux justifiée ainsi que la composition des délégations pléthoriques avant qu’elles ne soient autorisées. Au demeurant, des conférences téléphoniques pourraient remplacer certaines missions non essentielles. 
Réduction de Salaires : le débat sur une réduction des salaires est agité. En dehors de quelques DG d’Agences dont les salaires semblent exorbitants, la réduction des salaires agitée de quelques Ministres ou DG semble symbolique en termes d’effets ; les réductions devraient plutôt s’adresser à la rationalisation du personnel de leur cabinet, aux dépenses de fonctionnement (carburant, électricité, fournitures de bureaux) ainsi qu'aux avantages en nature. En tout état de cause, toute idée de réduction des salaires des fonctionnaires serait contreproductive en raison du coût social de cette mesure, des effets sur la demande et de la contrition de la consommation des ménages. En lieu et place, des concertations avec les organisations syndicales permettront d'aboutir à un pacte de stabilité sociale.

En Conclusion : Certes les politiques d’austérité peuvent permettre de stabiliser les finances publiques à court terme, cependant leur coût social et les effets à moyen/long terme sur l’approfondissement des inégalités sociales, la paix et la stabilité sociale et la paupérisation des couches les plus vulnérables remettent en cause leur pertinence voire les rendent contreproductives. 
En lieu et place, une approche équilibrée et plus holistique combinant dialogue avec les créanciers, réformes structurelles et ciblage social nous semble plus viable, plus inclusive et moins conflictuelle. 
L’application  des mesures préconisées requière certes de la part des gouvernants du courage politique et un sens aigu des enjeux, nul doute qu’elle participera à restaurer l’espoir et la confiance du citoyen qui constate des efforts réels de réduction du train de vie dispendieux de l’Etat. En outre, ces mesures permettraient de faire des économies financières substantielles qui pourraient être réinvesties dans des secteurs clés porteurs de croissance inclusive : il s’agit en particulier des secteurs de :
- l’Agriculture : maîtrise de l’eau à des fins de production agricole et pastorale, reconstitution du capital semencier y compris pour les cultures maraîchères, renforcement des fonctions d’Appui/ Conseils des services décentralisés, modernisation de l’équipement agricole ;
- l’Agro-industrialisation en fonction des potentialités des pôles territoires; 
- les Energies Renouvelables (en particulier la solarisation) pour promouvoir la disponibilité d’une énergie productive, surtout en  milieu rural ;
- la PME en facilitant l'accès au crédit pour les petites et moyennes entreprises (PME) et en soutenant l’innovation pour encourager la création d’emplois au profit des jeunes ;
- l’Éducation et Formation Professionnelle : il s’agit ici de réformer le système éducatif pour mieux répondre aux besoins du marché du travail et de promouvoir des programmes de formation technique et professionnelle pour améliorer les compétences de la main-d'œuvre.

Nous reviendrons dans une prochaine contribution sur les modalités opérationnelles de mise en œuvre des mesures de relance économiques proposées ci-dessus.
Dr Cheikh Dieng
Président Parti FEPP TAWFEKH

Babou Diallo

Jeudi 20 Février 2025 - 18:36


div id="taboola-below-article-thumbnails">

Nouveau commentaire :
Facebook Twitter