Le bras de fer entre journalistes et pouvoir s’est durci en Tunisie à l’approche de la Journée mondiale de la liberté et de la presse qui est célébrée chaque année le 3 mai. Estimant que la liberté d’expression était menacée dans leur pays, le Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) mobilise ses adhérents en vue de lancer des actions de masse pour alerter l’opinion publique contre les tentatives du gouvernement de contrôler les médias, rappelant les pires moments de censure et de répression sous la dictature de Ben Ali.
Cette mobilisation va au-delà du secteur de l’information et touche désormais toute la société civile dont les principales composantes se sont alliées avec les professionnels des médias pour constituer une vaste coalition pour la défense de la liberté d’expression. La création de cette coalitionest la réponse de la société civile aux menaces que la coalition au pouvoir à Tunis dominée par les barbus d’Ennahda fait peser sur les acquis démocratiques du printemps tunisien.
Des acquis de la Révolution malmenés
On a longtemps dit que la liberté d’expression et la liberté de la presse sont les principaux acquis de la Révolution. Mais ces acquis ont été plutôt malmenés depuis les élections du 23 octobre 2011 et l’arrivée au pouvoir de la Troïka qui, après avoir tergiversé sur la réforme du secteur médiatique, s’apprête à faire passer des lois à l’Assemblée nationale constituante contraires aux fondements mêmes de la liberté d’expression. C’est précisément pour combattre ces lois liberticides que la Coalition a été mise en place. Son premier rassemblement de contestation aura lieu le 3 mai, faisant suite à la publication du rapport annuel du SNJT sur l’état de la presse en Tunisie.
Un état pour le moins précaire, alors que compte tenu du rôle prépondérant que les médias anciens et nouveaux ont joué dans les événements conduisant au renversement du régime de Ben Ali, on aurait pu penser que le respect de la liberté de la presse irait de soi dans la période postrévolutionnaire. Or il n’en a malheureusement été rien. Au contraire, les conditions d’exercice de la profession de journaliste n’ont cessé de se détériorer au cours des derniers mois.
Recrudescence des agressions et des violences
La montée des agressions et des violences contre les journalistes est sans doute le meilleur indice de cette détérioration. Ces attaques physiques, verbales et/ou psychologiques constituent les premiers obstacles à la liberté de la presse dans ce pays. Les journalistes sont agressés sur le terrain par la police, par les extrémistes religieux, et parfois par les citoyens eux-mêmes, sous l’influence des discours incendiaires des hommes politiques contre les médias. Les rapports entre les journalistes et les politiques se sont dégradés à tel point que certains observateurs n’hésitent pas à prophétiser qu’après l’assassinat du syndicaliste Chokri Belaïd, la prochaine victime risque d’être un journaliste !
Loi organique
Parallèlement à la recrudescence des agressions, on assiste aussi à une hausse inquiétante des procédures judiciaires contre les journalistes. Après la censure administrative de l’ère de Ben Ali, la censure se fait aujourd’hui judiciaire. La plus emblématique des attaques en justice contre les journalistes et les artistes fut celle engagée en 2012 contre le patron de Nessma TV pour avoir projeté le film animé sur l’Iran, Persépolis. Cette condamnation était basée sur un article du Code pénal hérité de l’ère de Ben Ali. Si les anciennes lois en matière de liberté d’expression ont encore cours, c’est parce que le pouvoir ne fait rien pour moderniser les règles de jeu.
Comme l’a écrit Reporters sans frontières, la réforme du secteur de l’information est entrée dans une impasse, avec les autorités bloquant l’application des décrets-lois 115 et 116 votés à la suite de la Révolution, le premier relatif au nouveau code des médias et le second à la création de la Haute Autorité indépendante de la communication audiovisuelle (HAICA). Les partis au pouvoir se proposent de remplacer ces lois, considérées beaucoup trop libérales, par le projet de loi organique en discussion actuellement à la Constituante et qui, s’il est voté, pourrait, selon le SNJT, mettre l’avenir du journalisme et de la Tunisie en péril.
D’aucuns estiment que l’article 121 de l’avant-projet de la Constitution en cours de négociation à l’Assemblée nationale constituante va encore plus loin. Elle favorise le retour de la censure et la création d’une instance de contrôle et de surveillance équivalente au ministère de l’Information sous un régime totalitaire. C’est pour sensibiliser la population à ces risques de dérapage que la Coalition fraîchement créée appelle ses adhérents à manifester leur mécontentement dans la rue, le 3 mai prochain. Dans l’espoir que la pression de la rue pourrait faire revenir le gouvernement à des sentiments plus amicaux avec les médias.
Source : Rfi.fr
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